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PIRE, Alain EXPERIENCE – Cambridge

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En voyant débarquer sur ma table un simple CD, sans fiche d’information, aux couleurs criardes et portant le nom d’Alain Pire Experience, je m’attendais effectivement au… pire. Mais comme le disait Descartes, il faut toujours progresser avec méthode et les recherches sur Monsieur Pire ont révélé que le bonhomme était en fait une épée, un cador en matière de rock, de blues et de psychédélique, et tout cela depuis près d’un demi-siècle.

Né à Huy en 1953, Alain Pire démarre la musique à la batterie et joue dès 1968 dans des groupes psychédéliques, comme Big Bunny & The Carrots Company. Puis il passe au progressif avec des combos comme Acoustic Jam ou Aleph. Déjà, là, respect. Son parcours musical dans les années 1980 va se faire aux côtés de la légendaire chanteuse Jo Lemaire, puis dans une solide formation blues rock nommé Such A Noise. Et dans les Nineties, c’est un retour vers le psychédélisme avec Huy! et le bizarrement nommé Michel Drucker Experience. Alain Pire évolue aussi dans Abbey Road qui, comme son nom l’indique, est un groupe de reprises des Beatles.

Parallèlement à ces activités de musicien, Alain Pire cultive une tête bien faite, puisqu’il est agrégé en communication, docteur en information et communication, et au passage auteur d’une anthologie du rock psychédélique britannique, paru chez la très sérieuse maison Camion Blanc. Ici, on n’est plus dans le respect, on est dans la vénération.

Mais là où il va falloir poser quelques paires de genoux en terre et s’incliner mollement devant la science et la puissance, c’est à l’écoute du dernier album d’Alain Pire et de son Experience (à l’évidente référence hendrixienne), intitulé « Cambridge », ce qui est aussi très lourd de conséquences.

Sur ce disque, Alain Pire s’est acoquiné avec Marcus Weymaere (batterie) et René Stock (basse), lui-même s’occupant bien sûr de la guitare, du chant et des claviers. Le disque est autoproduit, enregistré à la maison et ce qu’il développe en 45 minutes va s’avérer tout à fait épatant. Pour bien comprendre l’objet, il faut oublier les 45 dernières années et se replonger dans la période 1967-69. Si en plus, on peut se procurer une chemise à fleurs, un pantalon turquoise à patte d’éléphant, des boots en daim vert et se faire faire une coupe de cheveux au bol, on est alors complètement dans le trip. Oui, vous avez bien compris, il faut ressembler à Austin Powers et se croire en plein Swinging London.

Au départ, avec les premiers titres « Cambridge » et « Time machine », on pense avoir affaire à un groupe de reprises qui a mal digéré ses influences Beatles et Cream. Le premier morceau a un début qui le ferait confondre avec le « Strawberry fields » des Fab Four et le deuxième renvoie directement au « Tales of brave Ulysses » de Clapton, Bruce et Baker. Néanmoins, dès ces débuts, on repère le potentiel très intéressant de l’Alain Pire Experience, qui termine ces morceaux sur une note plus personnelle, quoique rappelant un peu les précurseurs de la Britpop, inspirateurs d’Oasis, comme les Inspiral Carpets ou les Stone Roses.

Mais le jardin des délices s’ouvre plus tard, avec des titres qui vont peu à peu révéler les incroyables qualités techniques du trio. Alain Pire nous sort des ondes gilmouriennes sur un « Drop of fallen leaves » chatouillant les doigts de pieds de Pink Floyd. Puis il s’extraie du maelstrom cosmique de « On the Moon » pour asséner de nouvelles lignes de guitare encore une fois dérivées du Floyd période 73-75. On commence à dresser l’oreille devant des solos faramineux, soutenus par une section rythmique prête à conquérir la Voie Lactée. On repasse sur la surface de la Terre tous réacteurs dehors avec le trépidant « Drifting south », aux ambiances peu éloignées du style des Master’s Apprentices, époque 1968. La voix toujours juvénile du sexagénaire Alain Pire glisse avec douceur sur des mélodies fraîches débouchant sur un nouveau solo de guitare herculéen. On s’en reprend pour près de sept minutes de trip intergalactique, histoire d’être mentalement prêt à affronter le titanesque « Your elephants are everywhere », expédition punitive aérienne en plein Cachemire avec force sitar, lâchant une énergie digne des grands groupes cultes anglais, comme Fire, Tomorrow, Blossom Toes, The Factory, The Open Mind, The Syn ou Jason Crest. Eh oui, le psychédélisme anglais ne se limite pas à « Sergeant Pepper » ou aux premiers Pink Floyd, il y a une masse de groupes inconnus qui auraient pu tailler des croupières aux Beatles en matière de musique venue des étoiles.

Et tout cela, Alain Pire connaît très bien puisqu’il continue son périple avec le dansant « Things behind the sun », digne de Crocheted Doughnut Ring ou Tinkerbell Fairydust. Le final est quant à lui plus direct puisqu’il renoue avec Cream, les débuts de « Number one » rappelant immanquablement « I’m so glad ». Et la suite est digne de Cream opérant en concert puisqu’Alain Pire fait cracher sa guitare en un immense solo électrifié jusqu’à la gueule, soutenue par un mitraillage de batterie digne de Keith Moon et des lignes de basse élastiques et sautillantes provenant en droite ligne du grand Jack Bruce.

Après un tel lessivage psychédélique, force est de constater qu’Alain Pire et ses sbires n’ont rien inventé de neuf mais ils recyclent avec un sens merveilleux du style et de la personnalité les références psychédéliques anglaises qui doivent être considérées comme sacrées, tant elles furent magnifiques et libératrices en ces magiques années 60. Bon après ceci, on revient obligatoirement dans les tristes années 2010, mais qu’est-ce qui nous empêche de rejouer ce disque et de rester coincé indéfiniment en 1967? Rien.

Pays: BE
Autoproduction
Sortie: 2014

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