BUTTERFIELD BLUES BAND (The) – East-West
Au milieu des années 60, le blues, un moment capté par les Britanniques qui l’avaient revitalisé avec le fameux British Blues Boom des années 1962-65, suscite enfin l’intérêt du public blanc américain. Des formations de musiciens blancs surmontent la discrimination encore bien vivace entre Noirs et Blancs à l’époque pour adhérer sans retenue au blues noir américain, jusqu’alors confiné dans des clubs réservés aux gens de couleur. Les grands champions black du blues, comme Muddy Waters, John Lee Hooker, Willie Dixon, Howlin’ Wolf ou B.B. King sont montés au pinacle par de jeunes blancs-becs admiratifs qui créent leur propre groupe pour jouer du blues.
Dans cette nouvelle vague du blues blanc, le Paul Butterfield Blues Band devient en quelque sorte le chef de file. Par l’habileté technique de ses musiciens, leur dévouement pur et dur à la cause blues, ce groupe s’est construit une solide place dans l’histoire du blues rock qui, dans les années 60, fut le ciment entre rock ‘n’ roll et psychédélisme. A sa suite, un joli paquet de groupes de blues blanc se constitue, avec par exemple le Siegel-Schwall Band, l’Outlaw Blues Band, Canned Heat, le Blues Project, Catfish Hodges, Harvey Mandel, Johnny Winter ou des oubliés comme Douglas Fir, Mount Rushmore ou Smokestack Lightnin’.
Le Paul Butterfield Blues Band est d’autant plus authentique qu’il se forme à Chicago, la ville-lumière en matière de blues, constituée ainsi vers les années 30 après la vague d’émigration des populations noires du Mississippi vers ce grand centre industriel du nord des USA. Paul Butterfield monte son groupe en 1964 avec Mike Bloomfield (guitare), Elvin Bishop (guitare), Mark Naftalin (claviers), Jerome Arnold (basse) et Sam Lay (batterie). Lors de la sortie du premier album éponyme en 1965, ce dernier quitte le groupe pour être remplacé par Billy Davenport, un batteur noir ayant déjà travaillé avec Willie Dixon, Muddy Waters, Howlin’ Wolf ou Otis Rush, c’est vous dire le pedigree du bonhomme.
Les autres collègues de Butterfield sont aussi des phénomènes. Jerome Arnold est le petit frère de Billy Boy Arnold et a aussi joué avec Howlin’ Wolf. On le trouve dans le groupe qui accompagne Bob Dylan lors de son fameux premier concert électrifié du festival de Newport en 1965. Elvin Bishop, 23 ans à l’époque, est né en Californie mais est arrivé à Chicago après des séjours en Iowa et en Oklahoma. Avec Mike Bloomfield, Steve Katz, Al Kooper, Barry Goldberg ou Harvey Mandel, il fait partie des grands musiciens blues d’origine juive. Paul Butterfield se distingue par son style à l’harmonica mais le plus remarquable de tous dans l’affaire, c’est Mike Bloomfield. Guitariste surdoué, il est rapidement adoubé par les caïds du blues noir américain. Jusqu’à sa mort prématurée en 1981 à l’âge de 37 ans, son jeu de guitare brillera sur de nombreux albums, à commencer par ce deuxième album du Paul Butterfield Blues Band, « East-west ».
Sorti en août 1966, « East-West » est l’album du Paul Butterfield Blues Band qui connaît le plus de succès dans les charts américains, avec une 65e place au Billboard. C’est encore modeste mais pour un groupe de blues, il n’y a pas à avoir honte. L’album sort sur Elektra et est produit notamment par Paul Rotschild, une sommité de la console qui a également produit les albums des Doors. La dure épreuve du temps a épargné cet album, qui distille un blues rock intemporel principalement constitué de reprises. « Walking blues » (Robert Johnson), « Get out of my life, woman » (Allen Toussaint), « Two trains running » (Muddy waters) ou les traditionnels « I got a mind to give up living », « Never say no » ou « All these blues » sont marqués de l’empreinte harmoniciste de Paul Butterfield et la touche guitaristique de Bloomfield et Bishop. Tout cela est de bonne facture mais « East-west » décolle vers les hauteurs grâce à deux morceaux exceptionnels. Le premier est « Work song », reprise d’un jazzman nommé Nat Adderley, qui voit pendant sept minutes Bloomfield et Bishop se renvoyer des solos de guitares colossaux. Le second est l’invraisemblable jam « East-west », improvisation de treize minutes réalisée alors que la plupart du groupe était sous LSD. Les solos que Bloomfield et Bishop tirent de leurs instruments sont tout simplement prodigieux. Butterfield vient déverser de grasses couches d’harmonica et la section rythmique tient vaillamment un rigoureux schéma hypnotique, permettant aux autres de partir dans la galaxie. Bloomfield décoche des parties orientalisantes, façon traversée du Cachemire à dos d’éléphant rose, inventant de ses propres doigts le blues rock psychédélique.
A partir de là, de nouvelles portes sont ouvertes, les Américains se sont réapproprié le blues qu’ils ont maintenant baigné dans le rock psychédélique. Durant les années 1966-67, les Etats-Unis vont devenir les champions du psychédélisme et de l’acid rock. Grateful Dead, Jefferson Airplane, Quicksilver Messenger Service ou Big Brother & The Holding Company ne perdront jamais de vue le côté blues de leur musique. Et ce sont les Anglais qui seront obligés de se soumettre en se rangeant derrière la bannière psychédélique à partir de l’été 1967. Le rock, développé à l’époque à partir de ce mouvement de balancier entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, venait de connaître une nouvelle étape de construction grâce à un solo démentiel de Mike Bloomfield.
On peut retrouver désormais cet album crucial qu’est « East-west » en réédition sous forme SACD chez Audio Fidelity. Si vous ne possédez pas déjà cet album, foncez vous le procurer, il est obligatoire dans toutes les discothèques prétendant à un minimum de sérieux.
Pays: US
Audio Fidelity AFZ 172
Sortie: 2014 (réédition, original 1966)