VARIOUS ARTISTS – Suburban sleazy listening: At the juke joint
Le label néerlandais Suburban Records étend toujours plus ses activités dans la défense d’un blues rock intègre et rebelle. Avec cette compilation « Suburban sleazy listening: At the juke joint », il rassemble quelques-uns de ses meilleurs poulains, ainsi que d’autres ayant été produits par des confréries engagées dans le même combat. Le thème ici est le juke joint, un terme qui désignait les établissements informels proposant aux populations noires américaines des plantations de coton du Mississippi de quoi oublier leurs soucis dans la danse, la boisson et la musique. Les juke joints ont fleuri dans tout le sud des États-Unis et ont servi de jalons pour les tournées des bluesmen des années 30, parmi lesquels Robert Johnson, Son House ou Charley Patton, bref, les plus grands de tous. La compilation de Suburban Records cherche donc à reconstituer cet esprit libertaire et frondeur, entièrement dédié au blues et qui a aidé à marquer la culture et la personnalité du peuple afro-américain. La quinzaine de titres figurant ici révèlent de solides musiciens peu enclins à suivre les modes ou à se laisser aller à la pensée unique du moment.
L’écrasante majorité des groupes représentés ici sont néerlandais, ce qui est une bonne occasion de faire le point sur la scène blues rock batave contemporaine, abritée chez les labels Suburban, Cool Buzz, Rude Records, Stagger Lee ou Jungle. Également, on ne peut qu’admirer la variété qui règne au sein de cette compilation. T-99 place la barre haute d’entrée de jeu avec son « Sun » tendu et animé d’un riff de guitare quasi-génial. Birth Of Joy est un petit groupe blues psychédélique dont la chanson « Motel money a way » a de forts relents Jim Morrison du fait de la voix du chanteur. Boo Boo Davis est un vieux bluesman du Delta, un des derniers à avoir d’abord récolté le coton avant de chanter le blues. Son morceau « Undercover blues » sent l’authenticité et le classicisme, ce qui tranche radicalement avec le « Exit spoiler » de Black Bottle Riot, une formation plutôt couillue dont le deuxième album en préparation devrait être une petite bombe, si l’on en juge par le morceau présent sur la compilation.
D’autres sélections sonnent moins énervé mais gardent néanmoins un puissant pouvoir évocateur, comme le « You groove me » de Cuban Heels (habitués du label Cool Buzz depuis une dizaine d’années) ou le « Fuzzbone Slim » des Pignose Willy’s, qui viennent de sortir leur album chez Suburban. Les Shiner Twins, également des Pays-Bas, sonnent frais et éclatant avec leur « Nothing in this world » bien enlevé. « My baby left me », extrait de l’album « The Kotten Field sessions », est là pour rappeler que The Backcorner Boogie Band est véritablement excellent dans le blues électrifié et nerveux. Mais Shaking Godspeed a aussi de quoi impressionner avec une approche plus calme, travaillée à l’acoustique et mettant en lice d’intéressants montages vocaux (« Without », extrait de l’album « Hoera »). Les Tenement Kids résonnent des vibrations de la douleur des esclaves avec leur mid-tempo agissant comme le battement syncopé soulignant la marche des travailleurs enchaînés au retour de la récolte du coton (« Diamond in the dark »). Le Reverend Peyton’s Big Damn Band manie la guitare slide avec astuce et propose un chant caillouteux sur le vibrant « Something for nothing ».
Plus vicieux et excités sont les Cyborgs, un duo de loustics évoluant sur scène avec des casques de soudeurs et dont le « Dancy » est une véritable sensation. Ceux-là sont probablement italiens, si l’on en juge par les délirantes vidéos prises dans des clubs italiens et que l’on peut voir sur Youtube. L’album « The Cyborgs » date de 2011 mais il n’est jamais trop tard pour découvrir ce groupe pour le moins décalé et original. Giant Tiger Hooch propose ici le chatoyant « Get high », qui figurera sur leur premier album à sortir en 2013 chez Cool Buzz. Les Suisses de The Hillbilly Moon Explosion sont sans doute le groupe qui détonne le plus dans cette compilation, avec une petite ballade rockabilly à deux voix en provenance de leur album « Buy, beg or steal » sorti en 2011. Rien d’affolant ici, surtout par rapport au morceau final d’Automatic Sam, un « Texino » joué au banjo dans le dénuement le plus complet avant que la batterie ne vienne mettre de la chair sur ce squelette et lancer le tout sur une orbite boogie soft qui rappelle les ambiances développées en son temps par l’immense John Lee Hooker.
C’est sur cette note de retour aux sources que se termine ce captivant assemblage de différentes faces du blues rock, la plupart du temps à la hollandaise, et il y a bien longtemps que vous aurez compris que l’acquisition de cette compilation est plus que recommandée.
Pays: NL
Suburban Records
Sortie: 2013/02/28
