PANZERBALLETT – Tank goodness
Quand on prononce aujourd’hui les mots de jazz-rock, la plupart des jeunes paltoquets vous rétorquent que c’est de la musique de vieux, que plus personne en dessous de 64 ans n’écoute ce genre de truc et que les Miles Davis, John McLaughlin ou autres Tony Williams sont bien là où ils sont, au cimetière ou aux archives. Ces cuistres doivent néanmoins se souvenir que le jazz-rock, ou jazz fusion, a été au cours de la première moitié des années 70 le rendez-vous de tous les surdoués de la guitare et des génies visionnaires, ceux qui, de Jeff Beck à Frank Zappa en passant par John McLaughlin et Bob Downes, ont redonné un piment technique à un rock épuisé par les opiacés du flower power, avant cependant de le livrer à la prétention et à l’arrogance de certains groupes prog qui l’ont dévoyé à nouveau.
On croyait tout cela mort et enterré après l’expédition punitive du punk, eh bien non, le jazz rock revient ! Et il revient habillé des nouveaux oripeaux qui ont pris en compte l’évolution de ces vingt dernières années. En effet, le jazz-rock nouveau n’est plus rock mais métal avec l’intervention sur terre du dernier album de Panzerballett, des Allemands qui n’ont pas l’humour dans leur poche. S’appeler Panzerballett quand on est allemand, faut oser, ça dénote un certain sens de l’humour et de la dérision, voire un peu de cynisme. Mais après tout, l’humour est signe d’intelligence et le cynisme signe de génie.
Alors, qui sont ces insensés furieux de Panzerballett ? Le groupe est fondé en 2004 par Jan Zehrfeld, qui réunit autour de lui des musiciens plus diplômés que des astrophysiciens. Josef Doblhofer (guitare), Alexander von Hagke (saxophone), Heiko Jung (basse) et Sebastian Lanser (batterie) ont arpenté les bancs des plus prestigieux conservatoires d’Autriche, d’Allemagne et des États-Unis et pourraient jouer du Mozart avec un doigt dans le nez ou interpréter Sibelius avec les pieds. Panzerballett sort trois albums entre 2006 et 2009 : « Panzerballett », « Starke Stücke » et « Hart Genossen von Abba bis Zappa ». « Tank Goodness » est le quatrième album et il ne déroge pas à la tradition en associant humour décalé et technique musicale impressionnante.
Question humour, les titres, déjà : « Mustafari likes di Carnival », « Vulgar display of Sauerkraut » ou « The IKEA trauma » sont là pour rappeler que Panzerballett mélange sans vergogne la blague de potache et la performance technique. Le groupe intègre également plusieurs reprises : « Some skunk funk » de Randy Brecker (par ailleurs invité sur le disque), « Giant steps » de John Coltrane, « (I’ve had) the time of my life » (hit de l’ignoble navet « Dirty dancing » en 1987) ou l’immortel « Take five » du Dave Brubeck Quartet. La plupart du temps, ces reprises sont traitées à coups de flingue, façon vitaminée et bardée d’électricité. Les guitares y développent d’énormes coulées sauvages et la rythmique polymorphe et schizophrène oscille entre rapidité de l’éclair et lourdeur d’hippopotame souffrant d’aérophagie.
On trouve rarement du chant sauf sur la reprise de « (I’ve had) the time of my life » et « The IKEA trauma », qui fait intervenir le chanteur suédois Mattias « IA » Eklundh, pas dégoûté de s’attaquer à un des symboles de la Suède. Dans cet album, Panzerballett mélange avec la même dextérité de purs instants de jazz-rock ultra-pointu et des attaques brutales de death metal à faire pâlir de jalousie Death (« Zehrfunk ») ou Pantera (« Violent display of Sauerkraut »). Le délire le plus hilare côtoie une instrumentation qui décoiffe et qui est redoutablement maîtrisée. De quoi faire dire à tous les petits princes de la technique que l’on peut faire de l’irréprochable du point de vue instrumental tout en déconnant sans retenue. N’est-ce pas, Monsieur Malmsteen ?
Pays: DE
Gentle Art of Music
Sortie: 2012/09/28