SPIRIT – Two sides of a rainbow
Dans la hiérarchie du rock psychédélique américain de la période classique (1966-70), on cite habituellement les deux incontournables Grateful Dead et Jefferson Airplane, on laisse une place à Frank Zappa et ses Mothers Of Invention, on évoque également Janis Joplin et Big Brother & The Holding Company, on reconnaît le rôle important de Quicksilver Messenger Service mais il y a une petite tendance à laisser de côté ces fabuleux musiciens qui avaient monté Spirit.
Spirit doit impérativement être hissé sur le piédestal du rock psychédélique américain avec les groupes précités pour une raison simple : ses quatre premiers albums indispensables et merveilleux que sont « Spirit » (1968), « The family that plays together » (1968), « Clear » (1969) et « Twelve dreams of Dr. Sardonicus » (1970). Ce dernier album, notamment, est un véritable sommet en matière de psychédélisme raffiné et fier et il constitue le socle de la discographie de Spirit. Ne quittez pas cette Terre sans l’avoir écouté au moins une fois, ce serait dommage. Spirit, ce sont aussi des personnages hauts en couleur. Le guitariste et chanteur Randy California a fait ses débuts avec Jimi Hendrix quand ce dernier était encore un inconnu jouant sous le nom de Jimmie James & The Blue Flames. Randy California a aussi un beau-père peu banal puisque Ed Cassidy va devenir à 44 ans co-fondateur du groupe Spirit en 1967 et par conséquent le plus vieux batteur de rock de l’époque. Son crâne entièrement rasé détonne aussi dans le paysage hippie de ces années 60 fleuries, et son style hérité de ses expériences dans le jazz donnera à Spirit une indéniable finesse rythmique doublé de la force de frappe quand c’est nécessaire. Le personnel autour de California et Cassidy a beaucoup tourné au cours de l’existence de Spirit, mais il faut retenir les noms de Jay Ferguson (claviers et chant) et Mark Andes (basse), qui quittent Spirit en 1972 pour former l’excellent Jo Jo Gunne.
À partir de 1972, le chemin de Spirit devient plus erratique. Randy California s’est momentanément absenté pour se fendre d’un premier album solo du nom de « Kapt. Kopter & The (Fabulous) Twirly Birds », qui rivalise en qualité avec l’album « Feedback » commis la même année par Spirit, aux mains du seul Ed Cassidy. Il faut attendre 1975 pour voir Spirit reformé autour de Cassidy et California reprendre sa discographie avec « Spirit of ’76 » et « Son of Spirit ». Suivent alors « Farther along » (1976) et « Future games » (1977).
Nous arrivons alors tout naturellement à 1978 et le live qui nous intéresse aujourd’hui. Cet album en concert a une histoire. Il est le résultat d’une tournée expresse de Spirit en Europe en mars 1978, avec seulement quatre villes visitées : Essen en Allemagne (pour un show télévisé à l’émission Rockpalast), Colchester, Bristol et le Rainbow Theater de Londres. C’est à Londres que le show est enregistré en vue d’un album live. Notons au passage que le groupe de première partie était un petit combo débutant du nom de Police, si ça vous dit quelque chose. Un cafouillage dans la pose des micros aboutit à des bandes où il manque la moitié des parties de guitare jouées par Randy California. Ce dernier réenregistre les parties manquantes en studio et comme le show de départ durait deux heures, il se contente de ne rejouer qu’une partie des morceaux, ce qui aboutira à un « Spirit live » tronqué de plus de la moitié de ses chansons. À l’origine, « Spirit live » sort sous plusieurs formes, dont un « Live » et un « Made in Germany » qui ont la particularité de rajouter un titre joué à Essen et un bricolage confus dans l’ordre des morceaux. Ces albums live sont en plus trafiqués avec un ou deux titres joués en studio et sur lesquels on a ajouté des bruits de foule en délire.
Tout ce travail poisseux qui avait fait de ce live de Spirit un album assez quelconque peut être jeté aux oubliettes avec la parution de ce formidable « Two sides of a rainbow » que le label Floating World réédite dans son intégralité. Un heureux hasard a voulu que des bandes magnétiques tirées des enregistrements sur la table de mixage aient été retrouvées, ce qui a permis d’exhumer le jeu de guitare original de Randy California, tel que joué à Londres ce soir-là. Un long travail de restauration de ces bandes abîmées par le temps permet désormais d’apprécier une prestation enchanteresse de Spirit devant le public anglais. Le groupe joue quelques-uns de ses classiques tirés principalement de « Twelve dreams of Doctor Sardonicus » et « The family that plays together » (« Mr. Skin », « Nature’s way », « I got a line on you ») et propose surtout quelques reprises de morceaux bien classiques et incontournables de Bob Dylan (« All along the watchtower », « Like a rolling stone »), Jimi Hendrix (« Hey Joe », « Stone free ») ou des Troggs (« Wild thing », également repris par Jimi Hendrix). La version de « Hey Joe » est à tomber et on y découvre le talent fabuleux de Randy California, injustement oublié sur le podium des plus grands guitaristes du monde. La basse de Larry Knight (accompagnateur de Randy California sur son premier album solo) délivre des lignes élastiques somptueuses et habiles qui ouvrent des couloirs célestes aux solos de Randy California. Rien à jeter, donc, sur cette quinzaine de titres impeccables et racés.
La réédition de Floating World fait du zèle puisqu’elle propose en bonus l’édition originale du « Spirit live » dans sa production d’origine, avec les deux titres studio « Rock and roll planet » et « These are words » surgonflés d’overdubs aujourd’hui surannés. Il y a donc tout ce qu’il faut dans ce double CD pour se faire une opinion sur ce concert de Spirit et conclure que ce groupe était une immensité dans le monde du rock des années 60 et 70.
Pays: US
Floating World FLOATD6136
Sortie: 2012
