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FUZZY DUCK – Fuzzy Duck

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Le groupe dont nous allons parler ici est une excellente opportunité de faire un point sur le véritable état de la scène hard rock anglaise au tout début des années 70. Tout le monde connaît les maîtres du genre, le trio sacré Led Zeppelin – Black Sabbath – Deep Purple. On se souvient aussi des sous-patrons restés fameux : Free, Uriah Heep, Status Quo. Il y avait aussi les mythiques, les cintrés ou les sympathisants : Budgie, Pink Fairies, Edgar Broughton Band, Ten Years After, Groundhogs, par exemple. Mais lorsqu’on en arrive aux radicalement inconnus qui hantent les fantasmes des collectionneurs maniaques, c’est là qu’il faut creuser, car on a ici affaire à des groupes qui n’ont jamais percé commercialement, mais dont la qualité musicale a enrichi le hard rock anglais dans des proportions insoupçonnées. Oubliez donc les sentiers battus et redécouvrez dans ce domaine les May Blitz, Jerusalem, Bedlam, Horse, Arcadium, Andromeda, Samurai ou Zior. Mais le combo qui surmonte aisément tout ce lot est incontestablement Fuzzy Duck. Ce groupe inconnu des services a opéré à l’aube des années 70 dans un registre heavy rock progressif parfait, démontrant au passage qu’être pétri de talents n’a jamais été la panacée pour réussir.

Fuzzy Duck naît, vit et meurt en la seule année 1971 dans l’environnement du label MAM, une maison créée par Gordon Mills, homme d’affaires ayant fait fortune avec le management de stars comme Tom Jones ou Engelbert Humperdinck. Au départ, l’idée de Mills est de monter un groupe pop qui exploiterait les sonorités du moment. Fuzzy Duck apparaît donc à la base comme un super-groupe rassemblant quelques musiciens ayant déjà du vécu. Mills souhaite aussi utiliser ce groupe comme backing-band de Gilbert O’Sullivan, un chanteur de son écurie qui a le vent en poupe à l’époque. C’est ainsi que se retrouvent ensemble le batteur Paul Francis (ex-Tucky Buzzard, encore un mythique groupe hard anglais managé et produit par Bill Wyman des Rolling Stones), le claviériste Ray Sharland (ex-membre de l’éphémère Spice, qui n’allait pas tarder à devenir Uriah Heep), le guitariste-chanteur Grahame White (un musicien de session demandé et envié) et le bassiste Mick Hawksworth. Ce dernier intègre le groupe suite à une annonce et a sans doute le CV le plus mythique : il vient du groupe de studio Five Day Week Straw People et surtout du légendaire combo Andromeda, qui réunissaient aussi le guitariste John DuCann (ex-The Attack, futur Atomic Rooster et surtout futur Hard Stuff, un magnifique groupe hard produit par Ian Gillan de Deep Purple).

Cette association de malfaiteurs doués va engendrer un unique album négligé par le label MAM, qui ne tire que 500 copies originales en septembre 1971. Autant dire qu’une copie vinyle originale de ce chef-d’œuvre du hard rock progressif anglais se négocie actuellement pour la coquette somme de 450 à 550 euros sur les marchés de la collection. Heureusement, le label Esoteric Recordings vient proposer une réédition CD pour aider les petits porte-monnaie compressés par la crise. Celle-ci fait suite à la réédition du label allemand Repertoire, qui remonte déjà à une bonne quinzaine d’années.

L’auditeur ébahi découvrira donc un exemple magnifique de ce qu’était le hard rock anglais au plus haut de sa forme au début des années 70. L’option choisie par Fuzzy Duck creuse sans vergogne dans le sillon déjà ouvert par Deep Purple, Uriah Heep, Atomic Rooster ou Vanilla Fudge : guitares tranchantes, rythmiques en béton et couches d’orgue Hammond puissant et échevelé. Un petit côté jazzy vient rendre les choses encore plus corsées (« Time will be your doctor », « Mrs Prout »), avant que Fuzzy Duck ne lâche des munitions hard rock imparables avec « Just look around you », « Afternoon out », l’épatant « Country boy » ou le chevaleresque « In our time ». Tout s’enchaîne dans une succession parfaite qui ne laisse aucun temps mort et le groupe place la barre toujours un peu plus haut au fur et à mesure que l’on avance dans l’album. Les lignes de basse sont hypertravaillées, l’orgue est olympien et les guitares mitraillent régulièrement des saccades qui feraient penser à un David Gilmour pris en flagrant délit de doigts dans la prise, le tout dans une formidable bonne humeur.

Comme souvent, malheureusement, la chance ne sourit pas à Fuzzy Duck. D’abord, avant que l’album ne sorte, Grahame White déclare forfait et est remplacé par Garth Watt-Roy (ex-Living Daylights, ex-Greatest Show On Earth et frère de Norman Watt-Roy, futur Blockhead de Ian Dury). Watt-Roy officie sur « Double time woman », face A du single « Double time woman/Just look around you », ainsi que sur le single « Big brass band/One more hour ». Ces deux singles sont sensés promouvoir un album qui se vend peu malgré les belles prestations scéniques de Fuzzy Duck, notamment en première partie de Jack Bruce et East Of Eden à Leeds en octobre 1971, ou lors d’un concert d’Halloween à Londres avec Barclay James Harvest.

Il en résulte évidemment une dissolution rapide du groupe. Les musiciens se dispersent dans des studios où ils vont œuvrer dans l’ombre pour des artistes comme Cockney Rebel, Bonnie Tyler, Ten Years Later (projet d’Alvin Lee qui suit Ten Years After, avec Mick Hawsworth) ou Chris Spedding. L’eau a coulé sous les ponts depuis, mais l’album de Fuzzy Duck a fort heureusement été réévalué et redécouvert par des amateurs éclairés. Son aura doit continuer à renaître et cette nouvelle réédition CD (qui couvre aussi les singles et titres inédits) est obligatoire pour les amoureux du heavy rock classique.

Pays: GB
Esoteric Recordings ECLEC 2323
Sortie: 2012/04/30 (réédition, original 1971)

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