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TANGERINE DREAM – Pergamon

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Comme pour beaucoup de groupes ayant fait florès dans les années 1970, l’année 1980 est importante pour Tangerine Dream. Le prince des groupes allemands a en effet acquis une irréfutable suprématie dans le domaine du rock électronique depuis la sortie de son premier album « Electronic meditation«  en 1970. Avec « Alpha Centauri«  (1971), « Zeit«  (1972), « Phaedra » (1974) et « Stratosfear » (1976), Edgar Froese et son groupe sont devenus non seulement des vedettes en Allemagne mais aussi des exemples.

Le groupe aborde 1980 sur un triple défi. Premièrement, savoir se renouveler dans un contexte musical qui a vu se généraliser les groupes utilisant les synthétiseurs, combos de New Wave en tête et qui sont en train de casser la baraque sur les ruines du rock progressif provisoirement enterré. Deuxièmement, intégrer sans heurts le nouveau membre du groupe, un Johannes Schmoelling qui a la lourde tâche de remplacer Peter Baumann, qui était avec Edgar Froese et Chris Franke le troisième élément de la dream team qui anima Tangerine Dream dans les années 70. Et troisièmement, faire figure de pionnier dans la propagation de la culture rock, symbole de l’Occident, vers les pays de l’Est européen dominés à cette époque par l’autoritarisme communiste.

Allemands de Berlin-Ouest, les gens de Tangerine Dream ont en effet des gestes à faire en direction de leurs compatriotes de l’Est, enfermés dans une République Démocratique Allemande qui boucle ses portes à tout signe de liberté pouvant provenir de l’Ouest, ce qui passe aussi par la musique, pourtant la plus difficile à contenir grâce aux ondes hertziennes qui la propagent au-delà des murs et des obstacles. En 1980, Tangerine Dream va entrer dans l’histoire en devenant le premier groupe occidental à venir jouer sur le territoire du Bloc de l’Est.

Cette aventure est inouïe à l’époque. Les plus jeunes qui lisent ces lignes doivent en effet se souvenir qu’à ce moment de l’Histoire, l’essence n’était pas trop chère à l’Ouest et les gens avaient de l’argent en banque, mais on était en permanence menacés par une guerre nucléaire si les Américains ou les Soviétiques se mettaient à déconner. Aujourd’hui, il n’y a plus de menace de guerre nucléaire (les civils sont largement aussi capables de mettre la Terre en danger de ce point de vue là) mais il y a la crise, ce qui n’est pas mieux. Quoi qu’il en soit, Tangerine Dream parvient en 1980 à passer à l’Est pour jouer sa musique en public en plein cœur de Berlin-Est. On se doute bien qu’une telle performance n’a pas été conclue en un jour et que les autorisations nécessaires pour venir jouer dans la RDA d’Erich Honecker ont nécessité un habile jeu du chat et de la souris.

Les tickets qui sont vendus pour ce concert au Palast Der Republik (haut lieu de la vie politique est-allemande) partent en priorité dans les poches des apparatchiks du parti communiste, qui ne laissent que vingt malheureux pour cent aux authentiques fans du groupe. Les billets restants s’arrachent en cinq minutes, mais le jour du concert, il y a près de 900 personnes qui s’agglutinent aux portes en essayant d’entrer. Edgar Froese impose aux autorités est-allemandes de laisser entrer ces gens gratuitement. Devant un parterre de journalistes et de caméras qui couvrent cet événement historique, cette première concession des autorités communistes envers l’Ouest est une sorte de petite graine qui sera le premier jalon vers l’écroulement du bloc communiste un peu moins de dix ans plus tard.

Côté musique, Tangerine Dream doit lancer son nouveau membre Johannes Schmoelling qui n’est pas encore tout à fait à l’aise sur une scène. Que jouer du répertoire passé de Tangerine Dream avec quelqu’un qui vient d’arriver ? Edgar Froese a une réponse radicale à cette question. Devant la salle où doit se dérouler le concert, il y a un cinéma qui joue le film « Don Quichotte ». Froese dit à ses hommes d’improviser deux longues pièces qui seront intitulées « Don Quichotte part one » et « Don Quichotte part two », le plus important étant de terminer en sol majeur. Et c’est ainsi que naît « Quixote » un album live enregistré à Berlin-Est le 31 janvier 1980 et qui sera d’abord distribué en Allemagne de l’Ouest sous ce titre avant d’être rebaptisé « Pergamon » lors de sa diffusion internationale en 1986.

Les deux titres qui composent l’album sont une gigantesque montée en puissance de 40 minutes, avec un démarrage au piano pour la première partie, puis l’arrivée d’un environnement de synthétiseurs et l’intervention de la guitare sur la seconde partie, avec accélération progressive du rythme et de l’intensité. C’est encore une fois une remarquable pièce musicale mise en place par des musiciens qui n’ont pas leur pareil pour illustrer des ambiances planantes et électroniques. Tangerine Dream sculpte littéralement les émanations sonores qui s’évadent lentement des instruments. L’émotion se glisse au fur et à mesure des élaborations et s’empare du pouvoir en fin de parcours, sur une architecture impeccable de synthétiseurs. Ceux qui veulent commencer à écouter du rock tout de suite maintenant à partir de rien ne doivent pas débuter avec ce genre d’album, mais quand on connaît bien Tangerine Dream et qu’on apprécie la musique électronique classique, on peut se laisser aller sans crainte à ce voyage proposé par « Pergamon ».

Imaginez la tête des dirigeants communistes lorsqu’ils ont entendu ces notes venues d’ailleurs, non seulement de l’Ouest mais surtout du haut de l’imagination humaine. « Helmut, nous sommes foutus, ces chiens de capitalistes nous ont eus avec de la musique ! ».

Pays: DE
Reactive EREACD 1026
Sortie: 2012/03/26 (réédition, original 1980)

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