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SMITH, Patti – Trampin’

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[Total: 4 Moyenne: 4.5]

Avant de se lancer dans une carrière de chanteuse rock, Patti Smith, amie de Tom Verlaine, fréquente assidûment le CBGB’s et le Max’s Kansas City, hauts lieux du punk à New York. Elle y déclame des poésies, seule d’abord, accompagnée à la guitare par son complice de toujours Lenny Kaye ensuite. Intellectuelle cultivée (pour ne donner que quelques exemples, elle a étudié les poèmes de Rimbaud et apprécie la peinture de Brancusi), elle écrit beaucoup et ses textes sont très denses et profonds. Comme Lizzy Mercier-Descloux, qui vient de mourir à l’âge de 47 ans, elle est à la recherche d’authenticité et refuse les compromissions dans lesquelles s’enferme le rock.

Critique de rock au magazine Rolling Stone, elle décide alors de se lancer. Pas facile pour une femme, à l’époque. Elle réunit quelques musiciens et se produit au CBGB’s en première partie de Television, le groupe de son ami Tom Verlaine. Le succès est immédiat ! La carrière de Patti Smith prend vraiment tournure en 1975 avec l’excellent album produit par John Cale, « Horses », un des premiers albums punk new yorkais avec celui des Ramones. Y figure Ivan Krall, un guitariste tchèque tombé dans l’oubli.

Dans la foulée de « Horses », elle sort successivement « Radio Ethiopia » (1976), « Easter » (1978) et « Wave » (1979). Quand elle épouse Fred « Sonic » Smith en 1980, elle se consacre à l’éducation de leurs enfants sans cesser d’écrire. En 1988, elle enregistre « Dream Of Life », dont les titres ont été composés avec son mari.

Puis elle est de nouveau absente de la « rock scene » pendant plusieurs années. C’est la mort de plusieurs êtres chers qui la ramène finalement à la musique : Robert Mapplethorpe (1989), un ami de longue date, Richard Sohl (1990), son claviériste, puis Fred Smith (1994), son mari, et son frère Todd (1994), morts à un mois d’intervalle.

En guise de thérapie, elle réunit ses musiciens et donne des concerts. Elle sort l’émouvant « Gone Again » (1996), longue complainte chantée où elle transcende sa douleur, puis « Peace And Noise », plus poétique, dont quelques titres ont été écrits avec son mari. Enfin, elle écrit et sort « Gung Ho » (2000), son dernier opus avant « Trampin’ », enregistré et mixé à New York.

Patti Smith, voix, clarinette, est accompagnée par Lenny Kaye, guitare, pedal steel, Jay Dee Daugherty, batterie, percussions, Oliver Ray, guitare, orgue Farfisa, Tony Shanahan, basse, claviers, orgue Hammond B3, choeurs. Le line-up n’a pratiquement pas changé depuis « Gone Again » (1996).

Premier titre de cet album à forte coloration politique, même si elle reste discrète et doit être décryptée, « Jubilee » est une longue incantation mi-chantée, mi-parlée, bien dans le style inimitable des chansons de Patti Smith, avec Rebecca Wiener au violon. Elle a bien écouté les Stones du temps où elle était critique de rock chez « Rolling Stone ». La fin de la chanson est conforme à la fin de beaucoup de chansons de ses idoles : elle se termine dans une profusion d’instruments qui s’entrecroisent et s’entrechoquent dans une sorte de cacophonie savamment organisée. La ballade « Mother Rose », qui lui succède, est plus dans la tradition poétique de Patti Smith et la mélodie est très belle.

« Stride Of The Mind » est bien plus rythmé et rappelle sa période punk, beaucoup trop sous-estimée, sous la pression des clichés répandus par des simplifications excessives de ses détracteurs. Sur ce titre aussi, son sens du rythme, sans avoir l’air d’y toucher, crève les oreilles.

« Cartwheels » débute sur un mode intimiste pour déboucher ensuite sur une mélodie très personnelle ponctuée par des intonations nasillardes dont elle joue comme à plaisir. Cela reste une de ses marques de fabrique. C’est curieux comme les très grands (Kevin Coyne, John Cale, Bob Dylan, Tom Waits, …) cultivent leurs défauts et en jouent comme s’ils étaient des qualités.

« Gandhi » prend des accents indiens pour s’imposer à notre subconscient. On retrouve ici une autre caractéristique de Patti Smith. Elle ressasse ses phrases incantatoires hypnotiques jusqu’à la saturation pour mieux persuader de la justesse de son propos, comme si elle l’imposait par un message subliminal. Loin d’être un procédé, c’est sa façon à elle de s’exprimer. Tout cela fait de ce titre un des meilleurs de l’album.

Jay Dee Daugherty tient la râpe sur « Trespasses », qui est une réminiscence de sa période noire exprimée sous forme de plainte chantée qui dure cinq minutes et qu’elle module de ses intonations drivées par ses états d’âme. « My Blakean Year » voit réapparaître l’excellente Rebecca Wiener au violon et briller Tony Shanahan à la basse. On peut appliquer ici le même commentaire que pour « Jubilee », en ajoutant que son thème répétitif le rend totalement hypnotique.

« Cash » est une nouvelle très belle ballade, bien soulignée par la voix de Patti la talentueuse. Sur ce titre, il n’y a pas une note, pas un accord, pas un arrangement de trop. C’est le dépouillement dans toute sa splendeur. L’air de rien, elle va à l’essentiel et a un sens inné du rythme qui sort drôlement de l’ordinaire. La ballade suivante, « Peaceable Kingdom », est encore plus émouvante et offre les mêmes arguments que le morceau précédent. Que c’est beau !

A forte connotation world, « Radio Baghdad » se décline en plus de douze minutes, alternant les parties lentes et les parties rapides, où elle assène des vérités d’une violence inouïe aux tenants de la guerre, dans une tension qui va crescendo jusqu’au paroxysme final, pour redescendre tout à la fin dans un tempo paisible. Un vrai chef-d’œuvre qui mérite à lui seul l’achat de l’album. Attention génie !

Mais « Radio Baghdad » n’est pas une revendication politique, c’est seulement le cri d’une mère qui voit ses enfants menacés de l’horreur créée de toute pièce par la bêtise de ceux qui, par pur profit ou par goût du pouvoir, mettent en danger la planète entière. C’est aussi le signal d’alarme tiré par une femme cultivée qui voit mourir une civilisation évoluée. Une fois de plus, les barbares ont frappé.

Le dialogue entre la voix adoucie de Patti et le jeu de piano tout en finesse de sa fille Jesse Lee sur « Trampin’ » est poignant et fait retomber la tension extrême produite par le titre précédent. C’est un autre grand moment de cet album indispensable à tout amateur de rock digne de ce nom mais aussi à tout amateur de beauté subtile et nuancée.

Les titres :

  1. « Jubilee »
  2. « Mother Rose »
  3. « Stride Of The Mind »
  4. « Cartwheels »
  5. « Gandhi »
  6. « Trespasses »
  7. « My Blakean Year »
  8. « Cash »
  9. « Peaceable Kingdom »
  10. « Radio Baghdad »
  11. « Trampin’ »

Pays: US
Columbia / Sony Music 515215 2
Sortie: 2004/04/27

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