NOIR DESIR – en public
Peut-on encore parler sereinement de Noir Désir ? Peut-on juger ce CD uniquement pour ce qu’il est, c’est-à-dire un disque du meilleur groupe rock français de tous les temps ? (pitié, ne me parlez pas de Téléphone, j’ai mal au ventre…) On va essayer.
Témoignage de la tournée « des visages, des figures » de 2002, dont la sortie était programmée bien avant le drame de Vilnius, ce double live capte l’essence d’un groupe au sommet de son art. Car c’est bien en live que Noir Dez’ atteignait son plein potentiel. Aucun morceau studio n’a jamais réussi à rendre l’ahurissante puissance, la force du chant de Bertrand Cantat. Ce type ne chante pas, il rugit littéralement, et quand la musique se fait plus introspective (on n’ose pas dire douce), c’est comme une fine couche de roche sous laquelle bouillonne une lave incandescente.
Incandescente, c’est le mot qui convient pour qualifier la musique de Noir Désir, et je ne crois pas que quiconque ayant eu la chance de les voir en concert me contredira. La voix inhumaine de Cantat porte les morceaux à bout de bras et colle un frisson comme seul Nick Cave ou Trent Reznor peuvent en créer. D’ailleurs, un gars qui parvient à reprendre un morceau de Brel (« Ces gens-là ») sans se rendre ridicule ne peut qu’être un chanteur hors du commun.
Mais Noir Désir n’est pas que son chanteur. Le live permet aussi de se rendre mieux compte à quel point les autres musiciens sont excellents et donnent à Cantat un cadre plus formel, une main-courante sans laquelle il pourrait bien s’égarer (comme dans le départ raté de « Lolita nie en bloc »). On a souvent comparé Bertrand Cantat à Jim Morrison. Les comparaisons n’engagent que ceux qui les font, mais là aussi, si sans Jim, les Doors n’auraient été qu’un groupe West Coast parmi des milliers d’autres, Jim tout seul ne serait sans doute pas arrivé bien loin. Le jeu de guitare de Serge Teyssot-Gay, notamment, fait merveille.
Par rapport à « Dies Irae », leur live précédent datant de 1994, la principale évolution se remarque au niveau des arrangements. Quand « Dies Irae » se contente un peu de reproduire le studio (en mille fois plus intense, ceci dit), « En Public » propose des arrangements complètement revus et corrigés, et bien plus audacieux, sur notamment « one trip, one noise », « L’homme pressé » ou « Ernestine » entre autres, avec de discrètes interventions de claviers ou de cordes.
Ceux qui espèrent un best of seront peut-être déçus : pas d’« Aux sombres héros de l’amer », ni de « Un jour en France » (celui-là, je regrette énormément son absence ! J’aurais bien aimé réentendre aussi « Joey » et « Du ciment sous les plaines », mais bon…), mais des morceaux pas forcément évidents comme « Septembre, en attendant », « Des visages, des figures » ou « Le grand incendie ». Quelques hits quand même : « Le vent nous portera » et « A l’envers, à l’endroit », bien sûr, mais aussi une version marteau-pilon de « Tostaky ».
Certains morceaux ont une qualité pratiquement hallucinatoire : « one trip, one noise », « Si rien ne bouge », tandis que d’autres optent pour le rentre-dedans qui vous plaque au mur : « Comme elle vient », « Pyromane » ou « Tostaky ».
L’avenir nous dira si Noir Désir remontera un jour sur scène, et si la violence, la mort, la prison et les médias auront ou non raison de ce groupe exceptionnel, mais ce document sonore (ainsi que son pendant DVD « en images ») reste un must pour tout quiconque croit encore que le rock signifie quelque chose.
Pays: FR
Universal/Barclay 983152 6
Sortie: 2005/09/19

Chouette chronique! Je rajouterais aussi dans les tous bons moments la version revisitée de « Les écorchés », dont les White light, white heeeaaaat me rappellent plein de bons souvenirs…