TOWNSHEND, Pete – Anthology (deluxe edition)
Y a-t-il une vie après le Who pour Pete Townshend ? Cette compilation semble prouver le contraire. Cet acteur majeur de la rock scene britannique a dit l’essentiel entre 1965 et 1973 avec le Who, dont les prestations sur scène laissent loin derrière la concurrence, à part les Stones et Led Zeppelin.
Ils produisent des albums qui ont marqué l’histoire du rock : « My Generation » (1965), « Magic Bus » (1968), « Tommy » (1969), opera rock extraordinaire pour l’époque même s’il n’est sans doute pas le premier, « Who’s Next » (1971) et « Quadrophenia » (1973), autre opera rock qui souffre de la comparaison avec « Tommy » et connaît un succès limité. Tous à leur manière sont des chefs-d’œuvre et ils donnent au rock la reconnaissance qu’il recherche et mérite. Les autres albums, sans être mauvais, loin de là, ne sont que des redites.
De plus, les paroles de Pete Townshend s’inscrivent parfaitement parmi les préoccupations des jeunes de l’époque. Les affrontements entre Mods et Rockers sur les plages anglaises ont longtemps défrayé la chronique. Le rock, c’est plus que de la musique, c’est une contre-culture, on ne le rappellera jamais assez. La violence y est souvent présente. Quand elle se traduit par de la bonne musique, c’est un exutoire parfait.
Les extraits de ces albums comme « My Generation », « I Can’t Explain », « Happy Jack », « I Can See For Miles », « Magic Bus », « Substitute » et le fantastique « Won’t Get Fooled Again » ont tous fait un carton et sont autant d’hymnes connus de tous, parfois grâce à des groupes jeunes qui les ont découverts et les ont remis au goût du jour.
C’est sans doute pourquoi cette compile paraît bien fade. On a surtout l’impression que Pete Townshend a gardé pour lui les compositions dont les autres membres du Who ne voulaient pas. Pourtant, elle recèle quelques trésors. De plus, il joue bien et il chante bien. La musique du groupe est un peu un miroir qui renvoie l’image de son public, nous dit Townshend, tandis que son travail en solo, beaucoup moins connu, reflète plutôt ses préoccupations et ses réflexions personnelles.
Sur le CD 1, ce sont surtout « Brilliant Blues », un morceau à caractère politique (ce sont les années Thatcher), « I Won’t Run Anymore », une chanson traitant du passage à l’âge adulte (on peut, pour se donner une vague idée sur le plan musical, se référer à « Baba O’Riley »), « Let My Love Open The Door », une chanson d’amour, « Let’s See Action », un morceau traduisant le reflet du public, une idée qui lui est chère, ou encore « Empty Glass », un morceau à caractère philosophique écrit pendant les années sombres et traitant de la futilité de la vie humaine, que l’on remarque d’emblée.
Mais des titres comme « Secondhand Love », où Pete nous dit qu’il n’a plus parlé à sa mère parce qu’elle avait un ami, et « A Little Is Enough », un éloge de la qualité de l’amour plutôt que de la quantité, méritent aussi d’être tirés en épingle pour leur rythme hard et la façon agressive dont Pete Townshend joue de la guitare. A signaler aussi « Now And Then » et « A Friend Is A Friend » qui traitent d’un sujet qui lui tient à cœur : l’amitié.
Quant à « Heart To Hang Onto », son style lui aurait permis de prendre place sur l’album « Tommy ». Pourtant, il est extrait de l’album « Rough Mix » de son ami Ronnie Lane. Un peu paumé suite à la disparition du groupe Faces, celui-ci lui demande de produire l’album mais Townshend, qui s’y est pourtant beaucoup investi, n’était pas suffisamment disponible et on fait appel à Glyn Johns, un producteur très recherché à l’époque. Parmi les invités : Eric Clapton, Charlie Watts et John Entwistle. Le morceau se caractérise par un jeu plus lent, discret et sobre mais drôlement bon. On y remarque particulièrement la basse jouée par ce dernier.
L’année suivante, Keith Moon meurt d’une overdose. Ce fait majeur dans la vie du groupe va tout changer. Le cœur n’y est plus, l’inspiration fout le camp. Quelque chose est cassé. Une prise de conscience des dangers causés par les excès s’installe lentement. Quelques années plus tard, Pete choisit la rehab puis, une fois guéri, milite contre la drogue pour éviter aux plus jeunes le même parcours que le sien. Sans doute n’a-t-il pas été assez clair …
Sur le CD 2, qui commence full speed et full energy par le jazzy « Rough Boys », un titre inquiétant, il y a aussi l’une ou l’autre perle. Citons d’abord l’expérimental « Give Blood », assez peu dans le style du Who mais remarquable d’inventivité. C’est aussi un pamphlet contre la guerre.
Vient ensuite le meilleur titre, « Exquisitely Bored », composé quand Pete était en « rehab » en Californie. Il s’y embêtait mais était vivant et allait mieux. Le morceau traduit bien ce mélange d’ennui et de joie de vivre simultanée. Le contraste avec « Jools And Jim » est des plus heureux. Autant le premier est tout en nuances, autant celui-ci rentre dans le bide sans faire de quartier. C’est une attaque en règle contre un certain « journalisme » qui se nourrit de sensationnel et de rumeurs sans fondement.
Les autres ont pour la plupart des mérites divers mais aucun n’émerge nettement du lot sauf peut-être « Face The Face » avec ses beats imparables et son côté jazzy. Il nous parle des mots à double signification. « My Baby Gives It Away » est digne d’intérêt et nous parle de la sexualité dans le mariage tandis que « Parvardigar » est un morceau fort inventif à dominante acoustique en forme de prière universelle. Par contre, « Uniforms (Corp d’Esprit) », avec une faute d’orthographe mais pas seulement pour cela, est totalement dispensable. C’est hideux.
Bref, Pete Townshend était bien meilleur avec le Who mais ce double album très complet plaira de toute façon aux vrais fans et aux collectionneurs. Pour les plus jeunes, il vaut sans doute mieux s’intéresser aux premiers albums du Who. A noter un très bon livret bourré d’informations et de photos inédites. C’est suffisamment rare pour être souligné.
Titres du CD 1 :
- « English Boy » (« Psychoderelict ») (1993)
- « Secondhand Love » (« White City: A Novel ») (1985)
- « A Little Is Enough » (« Empty Glass ») (1980)
- « Heart To Hang Onto » (« Rough Mix ») (1977)
- « Sheraton Gibson » (« Who Came First ») (1972)
- « The Sea Refuses No River » (« All The Best Cowboys Have Chinese Eyes ») (1982)
- « Brilliant Blues » (« White City: A Novel ») (1985)
- « Now And Then » (« Psychoderelict ») (1993)
- « I Won’t Run Anymore » (« The Iron Man: A Musical ») (1989)
- « Keep Me Turning » (« Rough Mix ») (1977)
- « Let My Love Open The Door » (« Empty Glass ») (1980)
- « Slit Skirts » (« All The Best Cowboys Have Chinese Eyes ») (1982)
- « A Friend Is A Friend » (« The Iron Man: A Musical ») (1989)
- « Let’s See Action » (« Who Came First ») (1972)
- « Street In The City » (« Rough Mix ») (1977)
- « Empty Glass » (« Empty Glass ») (1980)
Titres du CD 2 :
- « Rough Boys » (« Empty Glass ») (1980)
- « Give Blood » (« White City: A Novel ») (1985)
- « Exquisitely Bored » (« All The Best Cowboys Have Chinese Eyes ») (1982)
- « Jools And Jim » (« Empty Glass ») (1980)
- « Crashing By Design » (« White City: A Novel ») (1985)
- « Don’t Try To Make Me Real » (« Psychoderelict ») (1993)
- « Face The Face » (« White City: A Novel ») (1985)
- « Uniforms (Corp d’Esprit) » (« All The Best Cowboys Have Chinese Eyes ») (1982)
- « My Baby Gives It Away » (« Rough Mix ») (1977)
- « Outlive The Dinosaur » (« Psychoderelict ») (1993)
- « Keep On Working » (« Empty Glass ») (1980)
- « White City Fighting » (« White City: A Novel ») (1985)
- « All Shall Be Well » (« The Iron Man: A Musical ») (1989)
- « Time Is Passing » (« Who Came First ») (1972)
- « I Am Afraid » (« Psychoderelict ») (1993)
- « Misunderstood » (« Rough Mix ») (1977)
- « Pure And Easy » (« Who Came First ») (1972)
- « Parvardigar » (« Who Came First ») (1972)
Pays: GB
InsideOut / SPV 304292 DCD
Sortie: 2005/10/07