COCHON DOUBLE – Bruxisme
Brynjar Thorsson a beau avoir un nom de Viking, il est en fait suisse francophone. Mais il se fait aussi appeler Cochon Double, comme un désir de plonger encore plus bas dans l’humilité et la honte. Car Cochon Double est un garçon qui aime les profondeurs de l’échec, de la lose. Il n’est jamais aussi inspiré que quand la poisse lui tombe dessus, quand ses potes le laissent tomber, quand sa copine le trompe, quand le fisc débarque pour un contrôle. Et en plus, au lieu de se battre, il se résigne, il se camoufle au fond de son lit et attend que toute l’absurdité de la vie passe, dans l’espoir futile que tout pourrait s’arranger un jour.
Cette vie de galère, Cochon Double l’exprime dans des chansons extraordinaires, entre noise rock, phrasé hip-hop et chanson française crépusculaire. Et après des années à avoir défendu ce répertoire pour le moins saugrenu sur les scènes de Suisse, Cochon Double a bien entendu été gagné par la résignation. A quoi bon chanter ? C’est au moment où il s’apprêtait à tout laisser tomber que ses anciens camarades de son précédent groupe Wellington Irish Black Warrior, Steven Doutaz et Lionel Jodry, le sortent de sa retraite et l’emmène dans un studio où le producteur Louis Jucker va se charger de coucher sur bande une huitaine de chansons. Les choses se passent en cinq jours est le résultat est cet album ʺBruxismeʺ.
Comment décrire ce disque ? L’absurdité des textes de Boris Vian ajoutée au non-sens des pièces d’Eugène Ionesco, la tristesse de Baudelaire, un truc qui ferait passer les dépressifs notoires pour des gros rigolos. Une rencontre entre le désespoir et un humour de troisième ou quatrième degré unique en son genre. Sur des structures instrumentales minimalistes, Cochon Double raconte un peu toujours les mêmes choses (ʺJ’en ai marre de tout, je me colle dans un coin et je regarde passer le monde en m’en foutantʺ). Mais il le fait à sa manière, avec un débit anarchique, une voix douce masquant une colère frustrée, et ces paroles qui ne peuvent empêcher de susciter des sourires et même des rires alors qu’elles parlent de rupture, de lassitude, de solitude. En fait, oui, c’est de la poésie, une poésie grinçante, maladroite et à fleur de peau mais qui suscite un profond attachement pour son auteur. Un texte comme ʺLa porteʺ est extraordinaire : le héros traverse une suite de pièces en ouvrant des portes, où il découvre successivement ʺdes enfants qui chient dans les coinsʺ, ses amis qui font la fête, sa copine qui se fait sauter par son meilleur ami, l’humanité qui le juge et finalement, le néant. Citons également le chaotique ʺVie de merdeʺ (le titre résume tout), ʺCanadaʺ (le héros quitte sa copine, achète une voiture et part pour le Canada) ou ʺMouetteʺ (la seule crotte de mouette larguée du haut du grand ciel tombe évidemment sur le nez du héros). Les textes sont parfois très courts mais ils restent très expressifs et ils sont dits de façon claire, comme ça tout le monde peut les comprendre et commencer à se poser des questions sur le sens de l’existence sur cette terre.
C’est bien que ce disque sort au printemps car une écoute en pleine automne ou en plein hiver pourrait immanquablement générer une vague de suicides. Mais ce n’est même pas certain car cet album touchant suscite autant la pitié pour le malheureux poissard que le plaisir d’écouter des textes hallucinants et foncièrement inhabituels.
Le groupe :
Brynjar Thorsson (guitare et chant)
Steven Doutaz (batterie)
Lionel Jodry (basse et synthés)
L’album :
ʺLa vie continueʺ (02:44)
ʺRat mortʺ (03:03)
ʺRestaurantʺ (04:50)
ʺLaisse allerʺ (04:40)
ʺCanadaʺ (02:45)
ʺLa porteʺ (02:37)
ʺVie de merdeʺ (02:01)
ʺMouetteʺ (06:28)
https://hummusrecords.bandcamp.com/album/bruxisme
Pays: CH
Hummus Records
Sortie: 2020/04/10