Eosine, la science de l’art
Les Liégeois d’Eosine vivent sur un petit nuage actuellement et pas seulement à travers leurs compositions shoegaze aux contours planants. Les lauréats du récent Concours Circuit s’apprêtent en effet à vivre un week-end riche en émotions puisqu’ils publient aujourd’hui « Coralline », un deuxième EP qu’ils présenteront officiellement ce dimanche aux Nuits du Bota. Nous avons rencontré sa tête pensante, Elena Lacroix, pour un mutuel échange passionnant…
Une rencontre en terrasse du Café Central, un endroit où le groupe avait déjà joué en janvier dernier l’intégralité du successeur d’« Obsidian ». Publié chez JauneOrange en 2021, cette première livraison introduisait l’univers du groupe qui a depuis bien évolué. La preuve, les quatre titres en question sont désormais laissés de côté en faveur de nouvelles compositions, plus en adéquation avec leur état d’esprit actuel.
Eosine, c’est d’abord et avant tout le projet d’Elena Lacroix, énergique bout de femme multi-instrumentiste autodidacte à l’esprit ouvert. Davantage à chercher du côté de la vague shoegaze du début des années 90 que de la génération TikTok, ses influences ont de quoi surprendre. Mais elles s’expliquent par un environnement familial qui l’a biberonnée aux guitares plutôt qu’aux comptines enfantines. Elle a bien entendu écouté de la pop mainstream mais est bien vite revenue aux fondamentaux enfuis en assistant à des concerts de rock. « C’est ça qui me parle, qui me fait vibrer, qui sonne vrai et cohérent avec moi. »
Parmi les groupes marquants de la vague en question, on retrouve Ride dont le leader Mark Gardener a mixé et masterisé « Coralline » dans son studio d’Oxford. Une belle histoire : « Deux jours avant l’enregistrement de notre premier EP, notre batteur se casse le poignet mais on voulait absolument sortir quelque chose et donner une suite à « Antares ». On a cherché un remplaçant et on est tombé sur Jérôme Danthinne (Showstar). Il connaît Mark pour avoir joué dans son groupe (aux côtés notamment de Jérôme Mardaga ndlr) à l’époque de son album solo. Il nous a proposé de lui envoyer le projet et il a accroché. »
Il a surtout fait de l’excellent boulot, en adéquation avec le plan de carrière du groupe. « On voulait cliver avec cette image de trucs un peu éthérés, atmosphériques. On voulait ajouter des éléments plus énergiques qui ressemblent davantage à ce que l’on produit sur scène. Il y a en plus eu l’implication des autres musiciens, notamment notre batteur Benjamin Franssen qui a pu s’exprimer davantage. Mark a vraiment réussi à capter une énergie live qui n’était pas du tout là puisque toutes les prises ont été faites séparément en studio. Pourtant, cela sonne comme quelque chose d’assez organique, d’authentique. On est super contents du résultat. »
On les comprend tant l’écoute de « Coralline » forme un tout cohérent, à commencer par « Seashells » qui assure à merveille la jonction entre les deux disques. « Plant Healing » a toutes les cartes d’un futur classique dreampop enlevé avec son intro qui n’aurait pas juré sur « Going Blank Again », le deuxième album de Ride. On ne présente plus le crescendo de « Ciarán », sorti en éclaireur à l’automne dernier, caractérisé par des harmonies vocales et un environnement plus sombre. Mais la bombe, c’est ce « Digitaline » complètement dingue même si la version studio se veut plus canalisée que celle délivrée sur scène, hypnotique à souhait qui part un peu dans tous les sens.
La scène, un endroit que le groupe maîtrise de mieux en mieux et qui prolonge l’univers imaginé par Elena, quelque part entre ses deux passions : la science et l’art. Elle est actuellement en master 1 de médecine et puise dans ses études l’inspiration pour ses textes, même s’ils ne sont pas nécessairement mis en avant. « J’écris sur des choses qui sont très personnelles et qui prennent la forme assez naturellement de métaphores scientifiques car c’est un milieu qui est super large et il y a toujours moyen d’exprimer ce que l’on ressent via ces termes-là. C’est assez naturel et cela parle aux autres membres du groupe qui suivent aussi des études scientifiques. »
Les visuels embrassent quant à eux une philosophie similaire grâce notamment à l’utilisation d’un microscope, une technique utilisée pour le clip de « Ciarán ». Un univers quasi infini basé sur des cellules naturellement ou artificiellement colorées, certaines avec de… l’éosine. « C’est un colorant qui me permet de mettre en évidence des structures, des noyaux, des cytoplasmes. » Une utilisation détournée puisqu’il sert au départ à détecter des pathologies. « Du coup, c’est un super lien entre la science et l’art (abstrait). Cela nous permet créer une cohérence avec la musique. »
Équilibrée et déterminée, Elena a également de la suite dans les idées. Laissons-là ainsi dévoiler la signification de « Coralline ». « Il s’agit d’une référence aux récifs coralliens. Quand on regarde du corail, on dirait que c’est un truc minéral mais en fait, c’est un animal qui a aussi un aspect arborescent. C’est entre l’animal, le végétal et le minéral et on voulait vraiment cet objet transitionnel du non-vivant vers le vivant mais qui existe en tant que tel. Car le corail reste quelque chose de très beau que l’on a envie de regarder, que l’on a envie de toucher. »
Et de poursuivre, musicalement parlant : « Il s’agit d’une transition entre « Obsidian » qui était très minéral vers quelque chose de très organique, de très fluide, de très vivant. » Elle évoque à demi-mots un premier album qui n’est certainement pas encore à l’ordre du jour mais ceux qui assisteront à leur concert de ce dimanche auront l’occasion de découvrir de nouvelles compositions, une sorte d’introduction à leur future évolution. Un concert en support de la toute dernière date du Goodbye Tour de BRNS. Une manière de transmettre le flambeau ?
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À lire: notre compte-rendu du concert d’Eosine en support de BRNS