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La Muerte, adios amigos

En marge des deux ultimes prestations de La Muerte, le Botanique sera le théâtre de funérailles dignes de ce nom. Une mise en bière orchestrée par le groupe qui a reçu les clés du complexe de la rue Royale pour l’occasion. Les visites débuteront le mardi 9 décembre par une veillée funéraire, suivie d’une cérémonie d’adieu le samedi 13.

Après Front 242 en début d’année et avant Channel Zero l’an prochain, c’est donc La Muerte qui s’apprête à tirer sa révérence, scénique tout au moins. Quarante-deux ans de carrière répartis en deux périodes distinctes même si, on le verra, la flamme ne s’est jamais vraiment éteinte. Rencontre avec Didier Moens, un de ses membres fondateurs pour évoquer l’événement.

Music in Belgium n’étant pas encore créé lors de la première phase de La Muerte, notre première expérience avec le groupe date des Lokerse Feesten en 2015. Te souviens-tu de cette prestation ?

Le plus gros souvenir, c’est la chaleur. Le soleil était très bas et tapait en pleine face lors des soundchecks. C’est toujours un plaisir d’aller aux Lokerse Feesten, l’hospitalité est de très haut niveau.

Comment te sens-tu à quelques jours du point final de l’aventure ?

Je ne m’en rends pas encore tellement compte parce que je suis dedans jusqu’au cou. Pour l’instant, je respire La Muerte jour et nuit, je suis occupé sans arrêt. Il y a le concert parisien à préparer, c’est assez chaud. Je n’ai pas le temps de m’arrêter et de me dire que dans trois concerts, c’est terminé. Ce n’est pas très grave et c’est tant mieux. J’imagine qu’au moment de monter sur scène ou peut-être à chaque morceau, je vais me dire que c’est la dernière fois que je vais le jouer.

La décision a-t-elle été facile à prendre ?

Non, c’est ma décision et elle a été très compliquée à prendre. J’ai passé plusieurs nuits blanches à me demander comment j’allais l’annoncer et le vendre aux autres. En fait, tout vient d’une conversation avec Patrick Codenys de Front 242 environ six mois avant qu’ils n’annoncent la fin de leur carrière. On a parlé, il m’a expliqué les raisons et cela a germé dans mon esprit. Un groupe comme le nôtre ne peut pas éternellement jouer parce qu’à un moment, on ne sera plus performants. Un concert de La Muerte, c’est très physique, une sorte de match de boxe de 12 ou 15 rounds. C’est de l’intensité du début à la fin et le lendemain, on est vidés comme si un camion nous avait roulé dessus. On ne veut pas faire la tournée de trop comme Adam & The Ants ou les Who par exemple.

Depuis que l’on a annoncé la nouvelle, des gens viennent nous voir à tous les concerts. Ils sont abasourdis de l’énergie et ils ne comprennent donc pas. C’était effectivement une décision irrationnelle car il n’y avait en apparence aucune raison d’arrêter. On s’entend bien, on n’a pas de writer’s block. J’avais même l’idée de sortir un album en parallèle pour faire un truc très contradictoire. On a finalement laissé tomber l’idée mais on veut que les gens retiennent l’image d’un groupe toujours intense sur scène.

Quels souvenirs marquants retiens-tu des deux périodes de La Muerte ?

Certaines rencontres humaines, que ce soit avec Arno ou les Young Gods que je connais depuis trente-cinq ans maintenant. Le premier Seaside parce que c’est le premier festival important qu’on ait fait. Toutes les tournées parce que c’était quand même solide. Surtout la dernière qui a duré six semaines à travers l’Europe, seuls avec un van et sans faire la première partie d’un autre groupe. Le premier concert à Prague avec le rideau de fer qui était toujours là, un choc culturel très intéressant.

Pour la deuxième période, on n’avait pas de plan de carrière donc tout ce qu’on a fait pendant dix ans, c’était du bonus. J’ai beaucoup aimé l’aventure humaine du groupe. Comme avec Tino de Martino (bassiste) de Channel Zero que je connaissais de vue et qui m’a avoué avoir postulé deux fois pour rejoindre La Muerte au milieu des années 80 mais qui a raccroché le combiné en entendant le message en néerlandais de notre manager de l’époque. Le destin a voulu que vingt ans plus tard, il joue tout de même avec nous.

Mais le truc le plus marquant, c’est quand on a été invités, Marc du Marais (chanteur) et moi à jouer pendant la séance de « Gutterdämmerung », le film avec Henry Rollins, Motörhead et toutes ces pointures. Se retrouver avec le guitariste de David Bowie et le backing band d’Iggy Pop pour jouer, je trouvais ça assez cool quand même.

Et dans le même ordre d’idée, la plus grande fierté et le plus grand regret de ces quarante ans au sein de La Muerte ?

La plus grande fierté, je pense que c’est l’attitude générale. On a toujours gardé une ligne de conduite alliant intensité, intégrité et mentalité. Un mec m’a récemment envoyé des images du Seaside en 1986. Finalement, c’est toujours la même chose, on est toujours aussi bruts sur scène. Si ce n’est que Marc se roule peut-être un petit peu moins par terre par rapport à ces images d’époque parce que sinon il ne va plus se relever (rires).

Au rayon des regrets, pointons la deuxième période. On a fait des choses au niveau international mais on n’a pas réussi à aller partout. C’est donc plutôt un regret structurel. Beaucoup d’agences avaient peur de nous parce qu’on n’avait pas de plan de carrière. De l’extérieur, tout le monde avait l’impression que l’on se débrouillait tout seul et que l’on n’avait pas besoin d’agent. Mais c’est faux.

C’est la fin de l’aventure mais il y a encore une poignée de concerts. Et puis toute une organisation autour des dernières prestations au Botanique. Une expo et un livre notamment.

Le livre s’appelle « L’essence des chocs » (du nom d’un extrait de « Kustom Kar Kompetition » de 1991) et a été écrit par Raymond Derry, un journaliste de New Noise. Il nous a approché il y a un an et demi pour faire une bio complète. Et puis on a été bloqués parce qu’on n’a pas trouvé de maison d’édition belge. Il est revenu à la charge au printemps en nous disant qu’il avait vraiment envie de sortir quelque chose pour l’occasion. Il est finalement parti sur l’idée de reprendre les différents entretiens qu’il a eus avec nous au fil des ans et de les compiler dans l’esprit d’un fanzine. Il a également ajouté l’interview de personnes de notre entourage et de collaborateurs. Pas mal d’archives, de photos…

L’expo, c’est un mot un peu prétentieux. Disons que l’on a reçu carte blanche du Bota. On a donc décidé de prendre deux salles et de réaménager le couloir des serres à notre univers. Il y aura beaucoup d’affiches et de souvenirs. En bref, ça en porte le nom mais ce n’est pas une expo dans le sens obsolète du terme avec mes chaussures et le slip de Marc (rires).

En gros, le Bota vous a fait confiance.

Oui, et c’est pour ça qu’on fait le truc là-bas. À la base, le concert était prévu le 1er novembre à l’AB (un autre malicieux clin d’œil). Mais voilà, cela allait être un des sept concerts de la semaine avec une première partie et un couvre-feu à 22h30. Le Bota nous avait approchés en vue d’une création pour laquelle j’avais une idée. Mais Marc ne m’a pas suivi car il fallait se replonger dans le temps et pour lui, c’était un boulot de dingue pour juste un concert. Si les parties de guitare sont relativement faciles à ressortir même si tu ne les as plus jouées depuis vingt-cinq ans, les textes, c’est autre chose.

On a donc laissé tomber l’idée mais celle d’organiser la soirée d’adieu au Bota a mûri. Sans stress de remplir la grande salle de l’AB. Et puis, avec Frédéric Maréchal, le nouveau boss du Bota, on a un lien amical historique. T’as le patron d’une salle de concerts qui est fan du groupe, tu ne chies pas dessus (rires).

Vous avez donc reçu les clés du Bota et, pour la soirée du 13 décembre, carrément organisé un mini festival. Vends-nous les groupes à l’affiche.

Cyclone, c’est le groupe culte de la scène thrash metal belge. Ils n’ont que deux albums mais ont fait la première partie de Metallica et d’Anthrax dans les années 80. Ils se sont reformés il y a quelques années. On les avait organisés à l’époque donc on trouvait que c’était cool de les inviter. Ils ont joué avec nous en avril à Saint-Nicolas, au Casino, c’était nickel. La symbiose des deux publics fonctionnait à fond. Fifty Foot Combo, il y a toujours eu un respect mutuel entre nous. Ils sont venus quand on a joué en 2015 pour le tout premier concert à l’AB, donc on trouvait logique de les amener pour le dernier aussi. Et Hetze, c’est un groupe de filles, c’est vraiment du punk brutal de chez brutal. Donc en trente minutes, elles ont fini leur set et ont joué 25 morceaux. On aimait bien cette brutalité sans concession. Il y aura aussi un DJ set de Vernon Sullivan du Desert Fest en after. Et vu qu’on a aussi envie de profiter de la soirée, on ne va pas jouer trop tard (de 20h à 21h30).

L’histoire du groupe sur scène se termine mais pas la carrière de ses membres.

Effectivement. De mon côté, cela fait un an que je suis occupé sur quelque chose qui est parti de rien et qui devient vachement plus concret. C’est une coïncidence que La Muerte s’arrête car j’aurais bien pu combiner les deux sans problèmes. Je ne vais pas trop en parler maintenant parce que le projet est en plein développement mais ce sera très différent, mixte et beaucoup plus calme. L’idée est de pouvoir garder mon style musical mais de me poser beaucoup plus et de pouvoir continuer tant que j’en ai envie. On verra l’année prochaine la direction que cela prendra.

Kirby (guitariste) vient de sortir son album avec Wolvennest, il part en tournée en Amérique du Sud en février avec Ark Angel et il va enregistrer bientôt avec Length Of Time. Chris est également dans Length Of Time. Tino, lui, a encore une année avec Channel Zero. Et Marc est occupé par un nouveau livre sur le metal en Belgique ou à Bruxelles dans les années 80.

La fin d’une aventure sur scène mais il y a toujours une porte ouverte pour le reste ?

J’ai encore des idées en tête pour La Muerte. On verra dans quelques mois si on a envie de se voir ou si on se manque. Sinon il y a un service après-vente qui va continuer. Ou un service après-vie, je ne sais pas comment il faut l’appeler. Après le split en 1994, j’ai l’impression que cela ne s’est jamais arrêté. On a refait un concert, puis un autre en 1997, en 1999. Il y a ensuite eu un disque pour les Suisses et un DVD. Bref, il y a toujours eu quelque chose. Et je sais d’expérience que je resterai toujours le guitariste de La Muerte, peu importe si le groupe existe ou pas.

Rendez-vous donc au Botanique pour les dernières heures de La Muerte. La veillée funéraire se tiendra le mardi 9 décembre à l’Orangerie. L’ultime occasion de voir le groupe sur scène sera le samedi 13 décembre. Fifty Foot Combo, Cyclone et Hetze les soutiendront dans cette épreuve avant une after… d’enfer.

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