TikTok, c’est Molchat Doma!
C’est le phénomène biélorusse Molchat Doma qui a eu le privilège de donner le dernier concert sans masque au Botanique. En tout cas en théorie car dans la pratique, les spectateurs étaient invités à déjà appliquer la nouvelle mesure décidée par le gouvernement. Pas simple à faire respecter dans une Orangerie ultra sold out…
Contrairement à ce qui avait été annoncé, pas de Luis Ake en première partie. Pour des raisons inconnues car ni communiquées par le Bota ni par l’artiste, l’Allemand a été remplacé au pied levé par Victor De Roo. Ce dernier avait déjà joué dans cette même salle lors des Nuits de septembre où il avait été accompagné de Rachel Sassi qui déclamait des poèmes de Paul Verlaine par-dessus ses beats.
Ce soir, il officie tout seul, presqu’entièrement caché derrière son immense console. Entamé sur des sons modulaires bidouillés, son set électro faussement planant s’arrêtera d’abord sur la piste de danse façon Justice avant de se ponctuer sur des influences ambiant que n’auraient pas reniées The Orb ou Aphex Twin au milieu des années 90. Regrettons l’absence d’effets visuels dignes de ce nom qui auraient sans aucun doute boosté sa performance.
Davantage réputée pour la poigne de son chef d’état que pour ses groupes de rock, la Biélorussie a vu émerger Molchat Doma de manière plutôt inattendue. C’est en effet via TikTok, réseau social très populaire chez les plus jeunes, que tout s’est emballé l’an dernier lorsqu’un de leurs morceaux a illustré une capsule devenue virale. Après la Rotonde en février 2020, ils n’ont donc eu aucune peine à remplir l’Orangerie en un rien de temps, avec une moyenne d’âge anormalement basse pour ce type de musique.
Car en général et sans vouloir caricaturer, les concerts de cold wave inspirée du début des années 80 attirent plutôt des gothiques nostalgiques que des ados biberonnés au hip-hop. Et c’est là que les trois gaillards originaires de Minsk tirent leur épingle du jeu, d’autant qu’ils poussent le vice jusqu’à chanter dans leur langue maternelle. On se trouve donc face à un phénomène rappelant, toutes proportions gardées, Måneskin, les récents vainqueurs de l’Eurovision.
Sauf qu’ici, on n’est ni dans l’extravagance, ni dans l’excès et encore moins dans la déconnade. Rigidité et sobriété traduisent en effet l’attitude de musiciens qui ne décocheront pas un sourire durant tout le set. Disposés de front, ils ont chacun leur style particulier, à commencer par le chanteur et parolier Egor Shkutko dont la longue chevelure au vent et la moustache à la Lemmy peinent à masquer un teint cadavérique. À sa droite, le guitariste Roman Komogortsev (le compositeur du groupe) compense sa calvitie par de généreux favoris et une barbichette qui l’est tout autant. Enfin, le bassiste Pavel Kozlov arbore des dreadlocks en chignon tout en exécutant des pas de danse basés sur des mouvements perpétuels maniérés.
Ils sont soutenus par une boîte à rythme basique et presque désuète, présente depuis leurs débuts et parfaitement déclinée sur le dansant « Volny ». Malgré une attention plus appuyée sur la production de « Monument », leur troisième album sorti voici tout juste un an, celle-ci balise toujours inlassablement leurs compositions tout en leur donnant un côté bricolé attachant. Une guitare sinistre et une basse glaciale complètent l’équation sur laquelle se pose une voix d’outre-tombe monocorde (« Kletka ») ou saccadée (« Ya Ne Kommunist »). D’autant que les textes rajoutent une dose de mystère. D’après un spectateur russe croisé au bar, ceux-ci seraient assez déprimants.
Ceci dit, les nouvelles compositions présentent tant une face légèrement plus colorée qu’une palette vocale moins linéaire. On pense notamment à « Lubit’ I Vypolnyat’ » et à l’excellent « Zvëzdy ». En revanche, « Otveta Net » semble pompé sur le « 3ème Sexe » d’Indochine, avec toutes les conséquences que cela engendre. L’utilisation de nappes synthétiques amène également un surprenant semblant d’euphorie (« Udalil Tvoi Nommer », « Utonut’ »), à tel point qu’un léger rictus semble avoir furtivement traversé le visage de Roman au moment de troquer sa V-Guitar contre des claviers.
Bien entendu, leurs influences principales sont à chercher du côté obscur des eighties et ils ne s’en cachent pas. Beaucoup ont d’ailleurs confondu l’intro de « Tishina » avec le « Atmosphere » de Joy Division et celle de « Tantsevat’ » avec « A Forest » de The Cure. L’ombre de New Order plane également sur plusieurs titres, « Kletka » et « Krishi » en tête. On tracera aussi de lointains parallèles avec le hit de Michael Sembello (« Maniac ») sur une version flippante de « Doma Molchat ».
Quoi qu’il en soit, le public, aussi jeune soit-il, réagit avec engouement et enthousiasme. Ce qui donnera lieu à quelques mouvements de foule davantage orientés dancefloor que moshpit (les très poppy « Diskoteka » et « Na Dne »). Mais le sommet sera bien entendu atteint dès les premières notes de « Sudno (Boris Ryzhyi) » en rappel. Le fameux hymne TikTok retournera sans surprise une Orangerie déjà prête à exploser. Comme quoi, en convertissant une nouvelle génération, les réseaux sociaux peuvent aussi avoir du bon… Spassiba !
SET-LIST
KLETKA
ZVËZDY
LYUDI NADOELI
TOSKA
OTVETA NET
UDALIL TVOI NOMER
YA NE KOMMUNIST
OBRECHËN
LENINGRADSKYI BLUYZ
LUBIT’ I VYPOLNYAT’
DOMA MOLCHAT
VOLNY
KRISHI
UTONUT’
TISHINA
TANTSEVAT’
NE SMESHNO
DISKOTEKA
NA DNE
SUDNO (BORIS RYZHYI)