The King Gizzard & The Lizard Wizard Experience
Toujours plus grande, l’aura des Australiens de King Gizzard & The Lizard Wizard a désormais atteint l’antre de Forest National. Le magicien Stu Mackenzie et ses camarades entamaient à Bruxelles leur tournée européenne et ont déroulé devant un parterre d’admirateurs dont certains leur vouent un véritable culte…
Originaire comme eux de Melbourne, Grace Cummings s’apprêtait donc à préfacer cette première date. Un rôle déjà ponctuellement assuré par le passé mais cette fois, c’est dans le costume de support exclusif qu’elle a entamé son set par deux titres introspectifs au piano. Un pari osé dans un endroit encore assez clairsemé à ce moment de la soirée mais avec le recul, tout à fait pertinent. Elle a ainsi patiemment installé son univers envoûtant via notamment « Something Goin’ Round », la plage d’intro de « Ramona », son récent nouvel album produit par Jonathan Wilson.
Si l’orchestration léchée renvoie vers Angel Olsen ou Lana Del Rey, certaines intonations de son impressionnante voix soul penchent plutôt, toutes proportions gardées, du côté d’Aretha Franklin au look de Sheryl Crow. Lorsqu’elle attrape une guitare, le tempo s’accélère mais l’intensité ne faiblit pas. Au contraire, elle semble libérée aux côtés de ses musiciens (dont un guitariste au mystérieux chapeau noir) et ponctuera sa prestation par une somptueuse version de « Ramona ». On serait curieux de la voir dans une salle intimiste comme la Rotonde du Botanique, par exemple…
Aussi curieux que cela puisse paraître, King Gizzard & The Lizard Wizard n’a pas encore donné de successeur à « The Silver Cord », publié en octobre dernier. Il s’agissait du vingt-cinquième album des prolifiques australiens en à peine onze ans. Et encore, on ne vous parle pas des live, demos, bootlegs officiels et autres rééditions à rendre dingues les collectionneurs les plus aguerris. Parmi ces extras, « Live In Brussels ’19 », publié chez Exag’ pendant le confinement, résume les deux concerts donnés à l’AB en octobre de cette année-là alors que « Teenage Gizzard » compile des démos datant des débuts du groupe. On comprend mieux pourquoi le stand merchandising ressemble quasiment à un magasin de disques.
Pas d’album récent, certes, mais un agenda des concerts overbooké. Il s’agit ainsi ce soir de leur troisième visite en un peu plus d’un an, après le Cirque Royal et le Pukkelpop. Une expérience systématiquement unique basée sur les délires du malicieux gourou Stu Mackenzie qui insuffle aux autres membres du groupe une incroyable fraîcheur en leur laissant un large espace d’improvisation. Une sorte de coach également, qui orchestrera quelques minutes d’échauffement en guise de jam avant de se lancer dans un « Am I In Heaven? » qui ne tardera pas à exploser en rock garage crasseux. Dans le même temps, une ruée vers le moshpit s’accompagnera de lancers de gobelets et de chants dignes de supporters émanant du parc Duden voisin.
Sur scène, outre Stu et son look de Michael J. Fox dans Back To The Future, on retrouve deux guitaristes aux instruments géométriques. Celui de gauche se dégourdit les doigts sur une V-guitar et celui de droite sur une en forme de parallélogramme. Un batteur, un bassiste et un claviériste multi-instrumentiste (on l’a notamment vu au saxophone) complètent un groupe dont la seule vocation est de prendre (et donner) du plaisir. Mission accomplie, à voir l’ambiance de feu parmi les spectateurs et le sourire sur le visage des musiciens.
Autre énigme, ils ne présenteront aucun extrait du précité « The Silver Cord ». Peut-être parce que son environnement électro-disco risquait de trancher avec le reste d’une set-list plutôt axée sur les guitares en avant. On les a déjà connus plus téméraires mais les trois plages franchement speed metal du précédent, « PetroDragonic Apocalypse » (juin 2023) effaceront une frustration qui n’en avait finalement que le nom. Avec une mention particulière au mélodieux « Witchcraft » derrière un mur du son bruyamment construit.
Un concert de King Gizzard s’apparente à une véritable performance durant laquelle les extrapolations sont légion et font la part belle aux influences radicalement différentes (psyché, garage, boogie, free jazz, prog, kraut…), souvent au sein d’une seule et même composition. Des versions délibérément extensibles qui, régulièrement, incorporent d’autres extraits pour former des pièces uniques en leur genre. Kilométriques peut-être, mais jamais lassantes. Ou comment trouver le juste équilibre entre jam, improvisation et rigueur, fruit d’une expérience scénique à toute épreuve.
Prenez par exemple « Crumbling Castle » et « The Fourth Colour », tantôt groovy tantôt classic rock, parsemées de parties d’harmonica. Mais toujours avec ce côté psyché rehaussé de projections criardes et colorées. Si on a de temps à autre l’impression qu’ils jouent pour eux (« Hypertension » et ses détours intellos), cela ne dure jamais très longtemps. D’autant qu’ils ont toujours plus d’un tour dans leur sac pour nous surprendre. Le langoureux « Work This Time » ou la coolitude nonchalante de « Magma » en mode space-rock futuriste bousculeront ainsi les règles établies.
Par moments, comme sur l’intro et les breaks jazzy d’« Iron Lung », la voix de Stu renvoie vers celle d’Alex Turner et une idée nous traverse l’esprit. Quelle aurait été la direction des Arctic Monkeys s’ils avaient emprunté une voie psychédélique plutôt que celle des cosy lobby d’hôtel après le succès météorique d’« AM » en 2013 ? Tiens, cette année-là, King Gizzard sortait « Float Along – Fill Your Lungs », leur troisième album et c’est avec la très Pink Floydienne période Syd Barrett plage titulaire qu’ils refermeront leur prestation ce soir. Une prestation limitée à deux heures qu’ils auraient pu prolonger aisément. Une preuve supplémentaire de l’appétit vorace de musiciens sincères et spontanés.
SET-LIST
AM I IN HEAVEN?
FLAMETHROWER
WITCHCRAFT
SUPERCELL
CRUMBLING CASTLE
THE FOURTH COLOUR
THIS THING
IRON LUNG
HYPERTENSION
WORK THIS TIME
MAGMA
FLOAT ALONG – FILL YOUR LUNGS
Organisation : Live Nation