Madrugada et les 20 ans d’Industrial Silence
En stand-by depuis 2008 et la disparition inopinée du guitariste Robert Buras, les Norvégiens de Madrugada ont repris du service. Dans le cadre d’une tournée spéciale consacrée aux vingt ans de leur premier album, ils en ont interprété l’intégralité dans une Ancienne Belgique survoltée.
S’il s’agissait de leur cinquantième prestation du genre, ils n’en avaient au départ prévu qu’une poignée, dont une mémorable à De Roma en février dernier. Devant l’engouement rencontré, ils se sont retrouvés à l’affiche des festivals d’été avant de prolonger le concept à travers une tournée automnale qui se terminera en apothéose lors de quatre dates au Sentrum Scene d’Oslo en décembre.
Mais en attendant, c’est à l’AB qu’ils se produisent ce soir et la longue intro dans l’obscurité quasi totale ne fera qu’accentuer l’effervescence d’une salle garnie de spectateurs impatients de remonter le temps en leur compagnie. D’autant qu’ils lanceront les festivités avec « Vocal », l’impeccable single qui les a fait connaître par ici et qui passait en boucle à la radio en 1999.
La voix de Sivert Høyem a conservé ce timbre ténébreux caractéristique, parfait complément à l’univers sombre et un chouia sinistre du groupe. Rachitique et chauve à l’image d’un Michael Stipe barbu, il se produit en costume dont il laissera tomber la veste après une bonne vingtaine de minutes, au moment d’entamer « Shine ». Tel un électron libre, il s’était contenté jusque-là d’accompagner ses camarades via des maracas et un tambourin. Ce n’est qu’à partir de « This Old House » et son harmonica plaintif dans la foulée, que sa guitare ne le quittera presque plus.
À sa droite se trouvent les deux membres originaux survivants du groupe, le bassiste Frode Jacobsen et le batteur Jon Lauvland Pettersen (de retour derrière les fûts après dix-huit ans). Ils sont secondés par le claviériste Christer Knutsen et surtout Cato Salsa, imposant guitariste grisonnant à l’allure négligée qui se mettra régulièrement en évidence. On pense notamment à ses parties de slide sur les incroyablement prenants « Belladonna » et « Beautyproof ».
Pour l’occasion, ils ont mis un point d’honneur à peaufiner les visuels. Abstraits, mystiques, temporisés ou granuleux à la manière d’un Anton Corbijn, ils illustrent à merveille les atmosphères des treize plages d’« Industrial Silence ». Qu’elles soient flippantes (« Sirens »), glaciales (« Higher ») ou puissantes (« Terraplane »), elles dégagent toutes sans exception une émotion palpable à laquelle il est difficile de rester indifférent. Pas étonnant qu’un des morceaux de bravoure de la plaque s’appelle « Quite Emotional ».
Dans l’intervalle, on aura droit à deux délires visuels du leader. Il éblouira les spectateurs armé d’un spot durant un « Strange Colour Blue » plein d’anticipation avant de revêtir un veston à paillettes pendant « Norwegian Hammerworks Corp. » pour un effet garanti. Un leader dont la présence et le magnétisme renvoient par moments à Nick Cave (« Salt ») et qui s’avouera toujours aussi surpris de la réaction enthousiaste du public. Et ce n’est pas le poignant « Electric », premier morceau composé par le groupe au milieu des années 90, qui inversera la tendance en final du set principal.
Les musiciens reviendront sur scène pour un rappel que l’on considérera plutôt, vu sa consistance, comme une seconde partie. Ils vont en effet allègrement se balader dans leur back catalogue, s’attardant sensiblement sur « The Nightly Disease », leur deuxième album, paru en 2001. Ils revisiteront ainsi « Black Mambo » dans une version presque noisy et se lâcheront sur un « Hands Up – I Love You » euphorique. Entre les deux, « Only When You’re Gone » et son subtil piano élèveront encore le débat.
Ceci dit, on n’était pas encore au bout de nos frissons. Le somptueux « What’s On Your Mind? » introduira ensuite « Majesty » qui n’a sans doute jamais aussi bien porté son titre. Quant au plus léger « The Kids Are On High Street », il permettra à l’ami Sivert de prendre un léger bain de foule parmi les premiers rangs. Le tout se terminant sur un « Valley Of Deception » à la voix impressionnante, bravant le couvre-feu imposé par l’AB tout en ramenant la tension à un niveau un tant soit peu acceptable.
En février, à De Roma, leur impeccable prestation avait été indirectement ternie par l’annonce du décès de Mark Hollis, le leader de Talk Talk. Ce soir, rien ni personne ne nous délogera de notre nuage…
Photos © 2019 Christophe Dehousse