Les Nuits 2019 : This (is Lambchop)
Bonne nouvelle, les années qui défilent semblent avoir de moins en moins d’emprise sur Kurt Wagner et son groupe Lambchop. Ils viennent en effet de publier « This (Is What I Wanted To Tell You) », un album unanimement acclamé par la presse musicale qu’ils sont venus défendre sous le chapiteau des Nuits du Bota. Une affiche diablement intéressante puisqu’un autre monstre sacré s’apprêtait également à monter sur les planches, Howe Gelb.
Ceci dit, le coup d’envoi de la soirée a été donné sur le coup de 19h30 par Vera Sola, craquant petit bout de femme qui était déjà passé deux fois par la Rotonde en 2015 en tant que bassiste d’Elvis Perkins. Aujourd’hui, elle s’est découvert une voix, a enregistré un premier album (« Shades ») et se produit en solo pour des raisons technico-pratiques. En effet, il ne restait plus de place sur scène pour le kit de son batteur (d’une énergie dingue, d’après ceux qui ont assisté à sa prestation au Houtain Festival deux jours auparavant) et sa bassiste.
Qu’à cela ne tienne, elle a aisément démontré qu’une guitare était amplement suffisante pour accompagner sa voix rauque assurée (on pense à KT Tunstall et Dani Klein). D’autant que sa faculté à raconter et vivre ses compositions la rapproche de Nancy Sinatra. En revanche, on accrochera moins aux deux derniers titres, davantage acoustiques. Une date pour l’automne serait en négociation, en full band cette fois.
On ne présente plus Howe Gelb, prolifique auteur-compositeur et leader de Giant Sand. On ne présente plus non plus The Colorist Orchestra, collectif belge rendu célèbre en magnifiant les compositions de Lisa Hannigan et d’Emiliana Torrini notamment. Etant donné que la seule condition pour collaborer est l’admiration vouée au vocaliste, les faux-pas sont rares, voire inexistants.
On en a eu une nouvelle preuve ce soir avec l’ami Gelb dont le chapeau de cow-boy blanc vissé sur une longue crinière qui l’est tout autant ne laisse planer aucun doute sur ses origines. Particulièrement avenant et épanoui, il posera une voix grave à la Tom Waits susurrée sur de délicates pièces orchestrales dont les huit musiciens ont le secret. Parmi ceux-ci, deux violonistes, un (contre)bassiste et un pianiste hors pair dont certaines parties seront dignes d’une BO de film muet.
Mais chaque musicien se trouve surtout à proximité d’un instrument (parfois bricolé) qui lui permet de s’adonner à des percussions retenues (les xylophones ou la collection de contenants en verre remplis d’eau) mais aussi par moments tribales. En conséquence, les entêtantes nappes au violon sublimeront les excellents « Counting On » et « Dr. Goldman », deux titres composés pour la circonstance, quelque part entre Nick Cave et Serge Gainsbourg. Mais, un peu plus tard, il attrapera une guitare pour envoyer « Inner Flame » et « Stranded Pearl », issus du répertoire de Giant Sand, dans des contrées nettement plus nerveuses. Un instrumental captivant réservé aux musiciens et un « Ruin Everything » retenu et coloré ponctueront un set trois étoiles pour une nouvelle collaboration hors-pair.
Si l’on associe naturellement Nashville et musique country, la mission de Kurt Wagner tend de plus en plus à lui donner une nouvelle impulsion, sans doute encore un peu trop futuriste pour les puristes. Un peu plus de deux ans après la sortie de « FLOTUS » sur lequel il a commencé à allier des bidouillages électroniques à sa voix trafiquée, il récidive avec « This (Is What I Wanted To Tell You) », le nouveau Lambchop. Encore un peu plus expérimental, il nécessite un temps d’adaptation et des lectures répétées, à l’image de « Double Negative », le dernier album en date de Low.
Et, à l’instar de ce dernier, c’est sur scène qu’il dévoile toute sa teneur. En tout cas, une fois le concept vocal Auto-tuné (mais pas trop) assimilé. Pourtant, deux micros sont installés sur scène, mais le second ne lui servira que pour les interventions entre les morceaux. Coiffé d’une casquette rouge flashy et arborant ses caractéristiques lunettes aux branches épaisses, il consacrera l’entièreté de la première partie du set à son nouveau bébé, copions grandeur nature à portée de main.
Entouré d’un groupe composé notamment du fidèle Tony Crow qui joue sur un imposant piano à droite de la scène, du bassiste Matt Swanson et du batteur Matthew McCaughan, il donnera ainsi vie aux huit titres du nouvel album. Parmi ceux-ci, on retiendra l’enlevé « Crosswords, Or What This Says About You », le très orchestral « Everything For You » et « The December-ish You » à l’environnement méticuleux. Sans oublier les arrangements soyeux de « Flower » qui rattraperont les parties ennuyeuses de la plage titulaire.
La seconde partie (peut-on parler de rappels lorsque quatre titres sont joués en trente minutes…) verra les musiciens nettement plus détendus et spontanés, le pianiste devenant tout d’un coup blagueur et prolixe. Plus expérimentaux également, à l’instar d’un kilométrique « The Hussle » qui les verra partir dans des délires sonores ratissant large, de Kraftwerk au free jazz. Le tout se terminera au son du groovant « Up With People », sans doute le plus country du lot et unique lien vers le début du millénaire. Quelque chose nous dit que Lambchop n’a pas fini de nous surprendre…