Front 242… Switched OFF
Un chapitre essentiel de la musique électronique s’est refermé ce week-end lors des adieux scéniques de Front 242 à l’AB. Un genre que les Bruxellois ont contribué à définir et à développer bien au-delà des frontières du royaume. Le tout soutenu par des hordes de fans inconditionnels dont certains n’ont pas hésité à parcourir des milliers de kilomètres pour assister au chant du cygne de leur groupe fétiche.
Sans surprise, les deux dates initialement annoncées voici près d’un an se sont retrouvées sold out en un clin d’œil et la troisième, ajoutée dans la foulée, a subi le même sort. Nul ne doute qu’il en aurait été de même s’ils avaient décidé de boucler leur aventure par une semaine complète dans la salle du boulevard Anspach. Mais voilà, un concert de Front 242 implique une débauche d’énergie conséquente qu’une telle performance aurait sans doute compromise. Et comme ses membres qui arrivent à un âge où les bobos commencent à se faire sentir ne sont pas du genre à faire les choses à moitié, on comprend qu’ils préfèrent stopper sur une note euphorique et ne pas donner le concert de trop.
Cela dit, les adieux d’un groupe constituent un prétexte idéal pour analyser son héritage et dans le cas présent, il y a de la matière. Peu de formations, belges de surcroit, peuvent en effet se targuer d’avoir inventé un style (l’EBM pour Electronic Body Music) et influencé des pointures telles que Depeche Mode, Nine Inch Nails et The Prodigy pour n’en citer qu’une poignée. En plus d’avoir notamment signé sur l’influent label américain Wax Trax, collaboré avec Anton Corbijn sur le mythique « Headhunter », vu leur nom apparaître en première page du sacro-saint New Musical Express ou de placer un titre sur la B.O. d’un blockbuster (« Rhythm Of Time » sur Single White Female aka JF rechercherait appartement).
Tout ceci avec une désarmante humilité comme le laissent entendre Richard 23 et Patrick Codenys dans le documentaire E.B.M. – Electronic Body Movie signé Pietro Anton, diffusé en amont de l’ultime prestation du groupe au cinéma Palace à deux pas de l’AB. On y apprend aussi que la technologie limitée de l’époque (nous sommes au début des années 80) les contraignait à user d’ingéniosité pour enregistrer leurs morceaux et surtout les reproduire sur scène. Ils ont toutefois continué à judicieusement les faire évoluer au fil des ans, raison pour laquelle les versions actuelles sonnent presque comme des sous neufs.
« We’re coming down for you! » Les concerts d’adieu n’auraient pas pu être entamés de meilleure façon qu’avec « W.Y.H.I.W.Y.G. » (What You Hear Is What You Get), la plage d’intro d’« Official Version », l’album de 1987 qui sera le plus revisité ces trois soirs. Dans le public, l’excitation est palpable et les pogos ne tardent pas à apparaître pour déjà atteindre un pic sur l’hypnotique « Body To Body ». Entre les deux, le saccadé « Moldavia » en forme de cris de guerre et de slogan suggestif (« Blood pressure, more pleasure ») maintiendront la tension.
Sur scène, l’énergie dégagée fait plaisir à voir. Jean-Luc De Meyer et Richard 23 se partagent les vocaux de manière parfaitement complémentaire tout en ne tenant pas en place. Ils virevoltent dans tous les sens, lunettes de soleil fixées sur le nez et veste zippée jusqu’au cou malgré la chaleur ambiante. À leur gauche, Patrick Codenys, qui arbore un brassard aux numéros du groupe, s’affaire devant ses machines alors que de l’autre côté, le décontracté Tim Kroker, debout derrière sa batterie électronique, complète une rythmique infernale décuplée par le kit mobile sur lequel l’ami Richard se défoulera de temps à autre.
Si certaines de leurs pochettes ont difficiement résisté à l’épreuve du temps, il en est autrement des visuels projetés sur l’immense écran à l’arrière de la scène. Ceux-ci apportent un réel plus en installant des ambiances majoritairement sombres (la banquise de « No Shuffle »), malsaines (les bâtiments abandonnés et les étendues désertiques de « Red Team »), fantasques (les curieux masques de marionnettes de l’imparable « U-Men ») ou mystiques (« Tragedy (For You) »).
Au rayon set-list, ils puiseront sans surprise dans leur période dorée, celle chérie par la plupart des disciples présents dans la salle dont la panoplie vestimentaire ferait rougir les fans de Therapy? et de Metallica réunis. On pointera notamment la dévotion à l’unisson sur le final de « No Shuffle », le controversé et atypique « Funkhadafi » ainsi que le flippant « Gripped By Fear » aux contours industriels. Seul bémol, la voix abîmée de Jean-Luc De Meyer dont les vibrations d’outre-tombe dénatureront quelque peu « Quite Unusual ». Une fausse note bien vite rattrapée par l’efficace « Take One » et cette version hyper prenante d’un « Masterhit » d’anthologie. Sans oublier un nouveau titre franchement électronique, « Together Divided » qui générera même un début de bagarre dans le moshpit le premier soir, étouffé par le charisme d’un Richard 23 aux abois.
Bien entendu, le toujours aussi peu catholique « Welcome To Paradise » bouclera le set principal dans une ambiance particulièrement survoltée qu’une mini pause atténuera à peine. Un « Happiness (More Angels) » taillé pour le dancefloor introduira ensuite le fameux « Headhunter » dont les punchlines seront reprises en chœur par une foule en délire sur un visuel incorporant des extraits du clip dont on parle plus haut. On n’aurait pas rêvé meilleure conclusion d’une carrière dont un diaporama retracera ensuite en une centaine de photos l’évolution sous un tonnerre d’applaudissement… et quelques yeux embués le samedi soir.
La carrière scénique de Front 242 s’est donc achevée mais est-ce pour autant la fin du groupe ? Rien n’est moins sûr. Cela fait en effet quelques années qu’ils incorporent dans leurs sets de nouvelles compositions qu’ils n’ont jamais pris le temps d’enregistrer, ou en tout cas de publier. On pense notamment à la vision techno de « Fix It » qui a fait forte impression ce soir. Mais laissons-leur d’abord le temps de se remettre de leurs émotions…
SET-LIST (23.01.2025)
W.Y.H.I.W.Y.G.
MOLDAVIA
BODY TO BODY
DON’T CRASH
U-MEN
NO SHUFFLE
SOUL MANAGER
QUITE UNUSUAL
TOGETHER DIVIDED
FUNKHADAFI
GRIPPED BY FEAR
RED TEAM
TAKE ONE
MASTERHIT
TRAGEDY (FOR YOU)
FIX IT
WELCOME TO PARADISE
HAPPINESS (MORE ANGELS)
HEADHUNTER