Direction Black Country, New Road
Certains dilemmes se résolvent d’eux-mêmes. Prenez par exemple ceux de ce dimanche 24 octobre qui ont longtemps hanté nos nuits. En effet, qui de Shame au Trix, d’I Like Trains à la Rotonde ou de Black Country, New Road à l’Orangerie auraient eu notre préférence si les deux premiers nommés n’avaient pas reporté leur tournée en 2022…
Sold out depuis des lustres, l’Orangerie accueillait en ouverture de la soirée Drug Store Romeos, un trio originaire de Fleet, une petite bourgade située à une soixantaine de kilomètres au sud de Londres. Sous leurs airs de teenagers et malgré une timidité presque touchante, Sarah Downie et ses deux acolytes (un batteur et un bassiste), possèdent déjà une solide expérience. Ils tournent en effet depuis cinq ans et ont désormais un premier album à leur actif chez Fiction, « The World Within Our Bedrooms ».
Disposés tant bien que mal entre les nombreux instruments et amplis du groupe principal, ils se produisent à une distance respectable les uns des autres. Leur dream pop sensible et délicate, même si elle s’emballe via une basse ronflante, une guitare faussement nerveuse ou des beats electro retenus, peine à s’épanouir dans un espace aussi vaste. Pourtant, il ne manque pas grand-chose à la voix candide et captivante de la chanteuse (qui rappelle celle de Sarah Cracknell, celle de Saint Etienne), pour se transformer en véritable vecteur d’émotion. À revoir donc dans l’intimité de la Rotonde par exemple.
Découverts en 2019 à Liège sur la scène du Micro Festival, les Londoniens de Black Country, New Road n’ont cessé de gravir les échelons d’une scène indie en plein boom. Après avoir sorti leur premier single sur le cultissime label Speedy Wunderground de Dan Carey, ils ont signé chez Ninja Tune qui a publié en février dernier « For The First Time », un premier album récompensé par un top 5 anglais et une nomination au prestigieux Mercury Music Prize. Prolifiques à souhait, ils ont déjà annoncé son successeur, « Ants From Up There ».
On devait donc s’attendre à de nouvelles compositions et on n’a pas été déçus. En effet, seuls quatre extraits de « For The First Time » émailleront la set-list dont un intense « Instrumental », oriental et festif à souhait d’emblée de jeu. Dans la foulée, un « Athens, France » bourré de tension fera grimper la température et, plus tard, une version nerveuse de « Track X » (dont les paroles mentionnent leurs potes de Black Midi) sortira de leur torpeur les spectateurs moins habitués à ce genre d’exercice. Ceux-ci se désoleront de ne pas avoir eu droit à l’anthologique « Sunglasses » mais recevront à la place un oppressant « Science Fair » à la sauce free jazz et aux parties de saxophone saccadées.
Les sept musiciens emmenés par un Isaac Wood incroyable de dextérité situé à l’extrême gauche de la scène vont dès lors explorer des contrées sinueuses, s’offrant au passage quelques parties d’improvisation dont ils ont le secret. Leur harmonieuse complémentarité générera des moments de pur bonheur orchestral, entre le saxophone de l’intenable Lewis Evans, le violon de Georgia Ellery et la guitare de Luke Mark. Plus en retrait, la bassiste Tyler Hyde (la fille de Karl Hyde d’Underworld), le batteur Charlie Wayne et la claviériste May Kershaw apportent leur pierre à l’édifice, même si cette dernière à tendance à trouver le temps long sur scène.
Ce petit monde se lancera ainsi dans la présentation en avant-première de six titres qui figureront sur leur deuxième album à paraître le 5 février prochain, soit pile un an après le premier. Parmi ceux-ci, le single « Chaos Space Marine », très Arcade Fire au demeurant, marie complexité et arrangements lumineux. On découvrira avec étonnement l’aspect granuleux de la voix du leader dont les intonations le rapprochent d’Eddie Vedder sur « Concorde » et « Good Will Hunting », deux compositions particulièrement prenantes.
Ceci dit, la curiosité de la soirée sera à mettre à l’actif de « The Place Where He Inserted The Blade » dont le piano omniprésent, la flûte traversière, la construction visuelle et les chœurs en font presque la chanson-titre d’une comédie musicale. Mais le sommet sera atteint avec « Basketball Shoes », morceau d’une quinzaine de minutes (qui occupera une face entière du futur album), avec lequel ils prendront congé du public. Timidement abordée via « Bread Song » un peu plus tôt dans le set, la construction en crescendo fera ici preuve d’une maîtrise à couper le souffle, passant de la douceur à la furie sans lasser un seul instant, laissant les spectateurs sans voix. En tout cas ceux qui, comme nous, ont vibré en continu 1h15 durant…
SET-LIST
INSTRUMENTAL
ATHENS, FRANCE
CONCORDE
SCIENCE FAIR
CHAOS SPACE MARINE
GOOD WILL HUNTING
TRACK X
BREAD SONG
THE PLACE WHERE HE INSERTED THE BLADE
BASKETBALL SHOES