ArticlesConcerts

Big Ed Sullivan, l’Homme à la Telecaster en feu

BIG ED SULLIVAN au SPIRIT OF 66 VERVIERS/BELGIUM 9 OCTOBRE 2002.
Quelle formidable soirée il nous a encore été donné de vivre à Verviers ce mercredi 9 octobre, en présence d’un tout grand Monsieur du blues new-yorkais : le très, que dis-je, l’éminemment respectable Big Ed Sullivan !

Faut croire que Francis Géron dispose non pas d’un sixième mais d’un septième sens (au moins) pour nous dénicher des oiseaux pareils…

Depuis sept ans, ça n’arrête pas… Les trucs géniaux se succèdent à une cadence dingue. Non seulement en ce qui concerne le blues (deux à trois événements colossaux mensuels au bas mot) mais aussi dans tous les autres genres…

Rendez vous compte : le Spirit of 66 en est aujourd’hui à la moyenne affolante de vingt concerts par mois (minimum) et je suis certain qu’en novembre ça va faire vingt-cinq. Il va nous inventer les mois de trente-cinq jours, le Père Géron, rien que pour pouvoir caser ses concerts en les poussant du pied, s’il le faut !

Enfin, dernière petite remarque et puis on passe à autre chose : vous en connaissez beaucoup vous des salles qui pourraient aligner le même mois dans le créneau « americana » des gens comme Big Ed Sullivan, Rocky Burnette, The Peasants, Raging Slab, Rick Vito, Bobby Cochran et Robben Ford ??? Dément ! Non ?

Eh ben moi je n’en connais qu’un. The one and only : Cisse The First !

Go back to the blues… Comme le rappelait si bien Ed Flaherty de Shri, dans « The Blues Alive » son admirable bouquin, : “The search of the universal chord is not only to find what is real in the blues ; it is to search within ourselves for the shared feelings that make humanity one body”. Comme c’est admirablement dit ! (Ed, si tu nous regardes…).

Faut se souvenir quand même que ce genre musical tellement récupéré n’a de sens que dans l’humilité et la sincérité. L’idée même qu’on trouve plus de trente mille sites de blues sur le web, pour intéressant(s) qu’il(s) soi(en)t, ne me rassure pas outre mesure. Cette espèce de surenchère parfois douteuse mériterait qu’on ait le temps de s’y attarder mais comme le propos du jour n’est pas là, venons en, d’abord, au fait.

Originaire de Brooklyn, (NY), Big Ed Sullivan grandit non loin du Gowanus Canal dans lequel il a bien pris le soin de ne jamais pêcher… Des heures durant, il aiguisa son talent pour la guitare et l’harmonica tout en assistant à la chute de nombre de ses amis, victimes de la drogue ou de la guerre des gangs.

Il souligne volontiers que la musique lui a servi d’échappatoire pour contourner ce monde hostile (on le comprend…). Il fut influencé principalement par Slim Harpo, Albert Collins, Dany Gatton et Link Wray (pas mal comme idoles, non ?).

Désormais pilier de la scène blues new-yorkaise, Big Ed Sullivan se produit régulièrement au Manny’s Car Wash, véritable temple du blues de Big Apple. Il a, pour l’anecdote, participé à la formation des Rebel Rockers fondés par l’ami Setzer (ex-Stray Cats).

On le trouve invariablement associé à Popa Chubby (qui le produit d’ailleurs) dont il épouse la stature ample aussi et qu’il finira bien vite par dépasser si l’autre n’y prend garde, tant ses capacités créatrices, sa chaleur de jeu et son potentiel artistique sont importants.

Big Ed Sullivan dispose, outre-Quiévrain, d’une aura et d’un accueil irrésisitibles. On a vu quelques magazines spécialisés s’emballer littéralement pour lui et, de fait, sa tournée française actuelle peut être qualifiée de triomphale. 26 dates en un mois, c’est fantastique.

Parti de Quiberon, le trip s’achève aujourd’hui ou demain par le festival de Nancy (avec quelques pics mémorables comme le New Morning à Paris, le Poste à Galènes à Marseille, le James Café à Lyon et… le Spirit à Verviers !!!).

Je n’en suis pas encore revenu… Avoir pu voir, entendre (et parler avec) ce bonhomme, c’est vraiment le bonheur… Je le revois encore tenant sa Telecaster noire dans le sas d’entrée du Spirit et expliquant à presque minuit aux quelques attardés (eh ! oh ! poli hein Didi !) enfin je voulais dire, aux dernières personnes qui quittaient la salle, les types de micros qu’il utilise et l’histoire de cette gratte époustouflante…

Ah ! Oui, je l’oubliais, faut que je vous dise : « je me suis converti à la Telecaster ». C’est décidé, demain j’en achète une et je m’y remets. Je sais bien que je n’irai pas loin mais quel bel engin ! Quelle sonorité en rafale ! Quel liant elle autorise. Non je ne plaisante pas, c’est vraiment une guitare sensationnelle, compacte, nerveuse, bondissante. Et puis utilisée comme elle le fut ce soir : un vrai régal. Il nous a tout fait l’ami Ed. Le jeu piqué, la chope en bottleneck, même le cendrier et le micro y sont passés. On a eu droit évidemment aux « clichés » de la gratte dans le dos, de la guitare à plat sur la table et du verre en équilibre « dans » les cordes, mais cela c’est rien à côté du jeu proprement dit sur la caisse même. Les desserrages de clés en cours de route, l’utilisation des potentiomètres comme « vibrato » et surtout la prise d’appui sur les attaches des cordes directement au-dessus du manche, ça m’a scié !

J’avoue que dans le genre, le brave Big Ed n’a de leçon à recevoir de personne, un véritable feu d’artifices à lui tout seul. Cette extraordinaire virtuosité alliée à des compositions fulgurantes ne me gêne pas… on peut appeler cela du génie. Autre chose est la dextérité, fût-elle spectaculaire, qui n’est jamais que de la simple production de sons sans supplément d’âme, comme dirait l’autre… A qui je pense ? Ah ! ben Francis doit savoir lui…

On ne pouvait mieux rêver comme démarrage que le « Mercury Blues » de K.C. Douglas, emballé en paquet cadeau. C’est un hymne que n’aurait pas renié Mike Estes lui-même… Un tempo à donner le tournis qui allume la salle en feu de la Saint-Jean. C’est géant comme entrée en matière. D’autant que derrière se pointe « I like the night » et le beat-stomp d’entame à tomber mort. Mazette que ça tourne bien ce combo !

Faut dire que les musicos sont « prêtés » à notre Eddy pour la tournée. Mais quels musiciens bonne mère !

A la basse Francis Campello. Ce garçon, aussi « nerveux » que Bill Wyman, en a la classe et le talent. Il travaille sérieusement sans fléchir même dans les moindres temps morts. On découvre à cette occasion qu’il n’est pas nécessaire de se rouler par terre pour bien faire et que le bon bassiste est toujours celui qui place le mieux ses accords, en liant les notes, oui Madame, il faut lier les notes sinon ça ressemble à des exercices de tir pour champ de foire… Bien qu’ayant un peu mal aux cheveux, notre brave Francis, la grippe naissante, s’est acquitté de sa tâche à la perfection. On n’a pas accompagné Chris Spedding pour rien non plus hein ? Et qui encore ? Ah ! Johnny, bon ! on s’casse… (Joke !).

Aux drums (Tama) : Monsieur Jean-Michel Biger ! Grand ce batteur ! Très grand Monsieur. Je ne sais pas combien il mesure mais je peux vous dire que ses coups de pattes magistraux rendent un immense service à tout le monde. Je trouve qu’il habille et colore ce set d’une empreinte chaude, adroitement construite et terriblement efficace. Il fit ses classes avec Ange, dans le temps, et, à mon avis, il en a gardé le sens de la décoration. Félicitation mon gars, c’est pas de la tarte de suivre le Grand Ed dans ses élucubrations…

Ben revenons-y donc (nonzidon… j’aime) à notre Mister Sullivan et à ce deuxième titre « I like the night » transpercé par un solo de guitare à te faire exploser les boutons de col. Quand t’entends cela t’as les yeux qui te sortent des lobes comme ceux du loup de Tex Avery devant Betty Boop ! Faut le voir et l’entendre pour le croire. Oufti comme on dirait à Liééééche ! C’est un extraterrestre ce gonze, il est pas d’ici lui, hein ? D’où déjà ? Ah ! Bon ! De là-bas dis donc (labadidon) !!!

C’est alors que survint LE MOMENT du show, par excellence. Un truc qui a duré pas loin de la demi-heure (oui, oui) et qui montre à quel point l’ami Sullivan peut mettre le blues au cœur des Hommes (majuscule !). Ca s’appelle « Blues in B » et, à mon avis, c’est la somme de toutes les influences recueillies magistralement à ce jour par le bonhomme. On y a vu et entendu tout ce qui se fait de mieux dans le genre. Même le chauffeur du car s’y est mis dans un solo de sax époustouflant (normal pour un sax). Ce brave Monsieur que je remercie parce qu’il m’a tuyauté sur la tournée s’appelle Jean-Gilles Charvot et je l’applaudis pour son intervention vraiment superbe et très opportune.

On a pu se rendre compte que Big Ed Sullivan joue avec la salle (je parle non seulement des gens mais aussi du local, de la pièce) comme avec une entité vivante. Il s’approprie l’espace pour y répandre le blues en onde de communication irrésistible et ce ne sont pas les quelques gimmicks rigolards qui m’empêcheront de penser que ce gars est juste dedans, vraiment, il finira par appartenir à l’Histoire, à la grande histoire d’une musique irréprochable, douloureuse mais belle à pleurer, universelle parce qu’ infiniment humaine. (Faut vraiment que vous écoutiez « Lost in the blues » sur son dernier CD).

Cela dit, quand je fais le compte du nombre de titres interprétés ce soir, je suis étonné : treize chansons en tout et pour tout (rappels compris). Evidemment en tirant sur le quart d’heure par chanson, ceci explique forcément cela…

La suivante en est la preuve vivante « Who do you love ? » dans le genre endiablé y’a pas mieux. Quelle affaire ! Ddjjjizzuuuusssse ! Quand Ellas Bates dit McDaniel* a composé cette chanson, il savait bien peu à quel point elle servirait la cause du pur rock and roll et combien elle donnerait de joie à des millions de gens. Ici, en l’occurrence, on s’en est encore payé une tranche pas triste… J’étais tellement dedans, à mon avis, que j’ai dû louper la transition de « Scratch My Back » (je croyais que c’était « Shake your blues away », enfin, personne n’est parfait…) mais, mais, mais, nous avons pu repartir instantanément vers la strato(sphère) en Tele(caster) avec le « Thrill is gone » d’un certain Monsieur King ! P… y’en a eu des King(s), non ? Elvis (joke), Albert, Benjamin Earl Nelson dit Ben E., Earl (un autre), Freddie et même Carole. Mais ici, c’est BB qui s’y colle… même si l’on sait que sa version n’est qu’une reprise de Roy Hawkins. La cover de Big Ed est franchement une fuckin’ good version de ce titre mémorable, bravo l’ami tu nous en ami (hum… « a mis » ok ?) plein la vue avec cette Telecaster traçante hyper explosive !

Un autre moment de délire fit déménager l’audience : le « Swamp Stompin’ » de légende (il ouvre l’album 2002) niveau Fogerty des grands jours, vraiment. Qu’est-ce qu’il nous sort là le Big Ed, une terrible compo comme on n’en fait plus, un pur chef d’œuvre !!! Re-belote pour le solo à la cannette (une vraie Jupiler s’il vous plaît) et l’incendie de forêt dans nos tripes. Plus une accélération finale genre « Indianapolis nous voici !!! ».

I-ni-ma-gi-na-ble- !- !- !

Mi-temps, pour respirer, ça tombe bien… mais la suite vaudra son pesant d’or et de merveilles…

Démarrage sur « What you say » (album 2000 BIG), dans les dents. C’est du tout bon. Tu croyais respirer eh ben, vas-y là, déguste encore un peu. Maman… l’affaire. Quand survient « Haunted House » (re-Big 2000) on est déjà tous rétamés pour le compte et c’est que le deuxième morceau (p… la phrase, c’est horrible comme une tache de ketchup).

Mais il était écrit que nous transcenderions l’extase ce soir because this incredible « Tip on In » ! Oh ! le joyau ! Je dirais même plus : what a jewel ! Polyglotte moi, surtout glotte quoi ! Cette cover de Slim Harpo est un véritable bijou. La façon avec laquelle Big Ed Sullivan la rend, donne du bonheur. Déjà rien que le riff rythmique d’entame dégouline comme un coulis de framboises sur de la glace à la vanille, délicieux, onctueux, parfumé au Southern Comfort…

Je devrais me calmer mais quand j’y repense, je me demande comment on a survécu au triptyque de covers colossales suivant.

Imaginez l’enchaînement de « Little Queenie » C/B, “I wanna make love to you” M/W, et “Roadhouse Blues” J/M, chez vous dans votre salon peinards et essayez de transposer cela on stage au Spirit… Enorme non ? Sublime vous voulez dire… GIGAMENALOBULEUX, ouais !!! Et Monsieur se permet des variations subliminales genre « Summertime » entre les coups. Adorable ! Vraiment !

Petit retour en arrière : notre gaillard déménage presque tout le matos dans la salle tout en continuant à jouer d’une main, il cartonne au démarrage de « Little Queenie » avec cette attaque du dessus de manche dont je parlais plus haut et s’amuse à changer d’octave en désaccordant le mi majeur, puis s’empare d’une nouvelle Jupiler non plus comme bottleneck mais pour du note à note (effrayante cette classe…).

Antoinette à côté de moi, décolle. Je suis heureux de la revoir parce non contente d’être une gentille personne elle me souffle volontiers les titres des covers quand je cale… Elle connaît tout cette Lady. A mon avis, elle a dû faire un stage avec un dictionnaire de rock…

Je n’ai pas parlé de la basse DeArmond de F. Campello, elle a le même son qu’une Gibson (ou presque) et remplit l’atmosphère d’un beat formidablement généreux, ample et feutré en même temps. J’avoue qu’on remarque très bien la différence d’avec la Fender, plus « clash », incisive et mordante.

Le final homérique sur « All Night » et « Fly Strait » (Big 2000) fut tout simplement un régal. Quand on sait que chaque morceau frôlait le quart d’heure, inutile de préciser que ces deux « Encore » ont permis à Big Ed Sullivan de déployer durant de longues minutes supplémentaires un talent fou qui ne laissa vraiment personne indifférent …

Ce fut sensationnel. Un vrai concert comme on les aime. Proche, direct , nerveux, avec des chansons admirablement ficelées, aux riffs irréprochables, captivants. Une présence et un ton d’une convivialité sincère. Franchement, Big Ed Sullivan est un chouette gars, on sent qu’il n’y a pas de faux fuyants dans son regard, qu’il vit de cette musique qu’il aime et qu’il adore faire partager. On en redemande des gens comme lui… Il dispose également d’une voix magique, sur laquelle il ne donne jamais l’impression de forcer, c’est un tout grand.

J’aimerais, une fois n’est pas coutume, vous livrer les commentaires de Jean-Claude Pinteaux qui, dans le Crossroads n°4 s’est livré à une petite analyse du dernier CD de Big Ed Sullivan « Run The Border ». Il n’y a pas un iota à ajouter à cela, si ce n’est : courrez l’acheter ce CD, il est distribué partout (Dixiefrog DFGCD 8531 / 2002) :

« Si Popa Chubby a vraiment mis la main sur une perle rare, on peut le deviner dérangé à l’idée d’avoir sous peu à partager un leadership mis à mal par l’émulation qu’il a lui-même provoquée. En effet, il n’aura pas fallu bien longtemps à Big Ed Sullivan pour s’affirmer comme étant un de ceux capable de déboulonner le « boss ». Loin des poses narcissiques et des mièvreries maniérées, Run The Border, le second disque de BES, démarre sur les roues arrière et les deux doigts dans la prise avec un « Swamp Stompin’ » au moins aussi épais que le bibendum chubbesque et à l’atmosphère terriblement électrique. Le ton de l’album est donné, avec, dans la foulée, « Stray Dawg » qui pète du feu de Dieu, au beat résolument rock and roll, preuve confirmant que ce Big Ed vu en concert à Montpellier est aussi un putain de rocker qui sidère par son énergie et sa manière volcanique de vivre le rythme. Seuls sont à l’honneur (et de quelle manière) Slim Harpo avec son « Tip on In » ainsi que K.C. Douglas et une version high octane de « Mercury Blues » (popularisé hier par David Lindley). Pour le reste, c’est BES qui signe les onze autres titres, allant directement à l’essentiel avec l’aplomb d’un vieux briscard. L’homme est en osmose totale, quasi charnellement avec sa Telecaster. Chaque titre ressemble à une déflagration d’un plaisir trop longtemps retenu qu’il libère en spasmes irréguliers et fougueux faisant vraiment plaisir à entendre. Sans aucun doute, Run The Border, prouve la maturité acquise, le sens musical et la forte personnalité d’un guitariste au bel avenir ».

Je partage entièrement ces commentaires auxquels je n’ai pas soustrait une lettre et je retourne écouter ce putain de fantastique album (on dirait du Fogerty, j’t’l dis moi, du John Cameron pur jus dis donc) et ce « Lost in the Blues » ; quelle affaire, quelle affaire !!! Allez, à la prochaine bonne surprise, ça ne va pas tarder, je le sens et LONG LIVE R’&R’ !!!

DD

*Bo Diddley, djo !

Laisser un commentaire

Music In Belgium