La sombre rêverie du barde islandais Jóhann Jóhannsson
Il fallait s’armer de patience ce samedi 30 Septembre au Palais des Beaux-Arts pour voir Jóhann Jóhannsson, tête d’affiche de l’édition 2017 du Bozar Electronic Arts Festival Les festivités démarrent à 20h30, avec les tripatouillages de Phew. Cette DJ musicienne électronique sexagénaire qui a collaboré avec Ryuchi Sakamoto produit de la musique électronique abstraite et torture ses machines électroniques, pour en tirer des sons distordus. A sa gauche sur une petite table, un sampler Roland SP404. Au centre, une console Mackie. Si ces noms ne vous disent rien, c’est normal, nous sommes dans le monde du DJing et de l’électro. Au bout de dix minutes, pour protester contre les traitements inhumains et dégradants infligés à son matériel, je quitte la petite salle bondée.
Un heure plus tard, j’assiste au show de William Basinski, venu présenter « A Shadow in Time », dont la première a lieu ce soir même. Conçue comme un éloge à David Bowie, la moitié de la pièce est une vague de mélodies et de drones basée sur des enregistrements de violons sur bandes magnétiques. L’autre moitié a été écrite pour le synthétiseur analogue Voyetra 8 et se concentre également sur des harmonies évoluant lentement, accentuées par des glitchs occasionnels ou un piano distant. Basinski s’attèle à la composition depuis trente ans déjà et est considéré comme l’un des pionniers de la musique drone aux harmonies répétitives, oscillant entre mélancolie et temps qui passe. En attendant, je regarde ma montre, plus que 40 minutes avant Jóhannsson.
Quand les lumières s’éteignent à 23h15 pour accueillir sur scène Jóhann Jóhannsson, le public est déjà conquis. Sur scène, les membres d’Echo Collective, ensemble classique de violons et violoncelle s’installent. Mais les yeux des spectateurs sont rivés sur un bien bel objet à gauche de la scène: un gros lecteur de bande magnétiques. Jóhann Jóhannsson installe lentement une grande bobine sur le lecteur, et une voix étrange d’enfant sort des haut-parleurs, récitant des nombres en allemand, tirés d’une station radio en ondes courtes qui émettait des suites de nombre pendant la guerre froide. Dès les premières notes de Song for Europa, tiré de son dernier album Orphéeparu sur Deutsche Grammophon, les cordes submergent la salle. La musique se fraie un chemin dans l’auditoire, comme une rêverie ou un demi-sommeil, quelque part entre les compositions répétitives de Philip Glass et les mélodies graves de Max Richter, qui comme Johansson a composé moultes musiques de film. Beaucoup de titres joués ce soir sont issus du très beau Englabörn (Sálfræðingur, Odi Et Amo), son premier album, déjà très classique mais avec des touches d’electro.
Le concert s’achève vers 0h30 dans un tonnerre d’applaudissement et une standing ovation. Le public, fatigué mais debout, est tombé sous le charme du barde islandais.