L’AB Club knocked Ought
Il y a des soirs où posséder le don d’ubiquité règlerait bon nombre de dilemmes. Car entre Parquet Courts au Bota dans le cadre du festival Autumn Falls, le cultissime Bonnie ‘Prince’ Billy dans la grande salle de l’AB et les prometteurs Ought un étage plus haut, le choix était cornélien. Ce sont finalement les derniers nommés qui ont eu nos faveurs lors d’un jeudi 20 novembre faste et rock ‘n’ roll. Ceci dit, si la balance a penché en faveur des Canadiens, l’annonce de Viet Cong en guise de première partie a sans doute été un élément déterminant dans notre choix. On commence en effet à parler énormément de ce quatuor dont la seule sortie physique est actuellement… une cassette. Il est vrai que leur style emprunte davantage aux seventies qu’à la génération iTunes…
Ainsi, une batterie très pure, un jeu de guitare lumineux (exécuté par le sosie de Yannis Philippakis, le leader de Foals) et des nappes de synthé édulcorées renvoient à Television. Sans oublier la basse omniprésente du chanteur Matt Flegel dont la voix sobre emmène des compositions obscures mais toujours mélodieuses vers des sommets, un peu comme si les membres d’Interpol décidaient d’arrêter les antidépresseurs. Un album éponyme arrive en janvier et sera suivi d’une tournée qui passera par le Witloof Bar du Botanique le 18 février. À bon entendeur…
Les Montréalais de Ought ont quant à eux sorti leur première plaque (« More Than Any Other Day ») au printemps, récemment complémentée par un EP, « Once More With Feeling… » qu’ils vont généreusement écouler au stand merchandising à des prix bien plus intéressants qu’outre-Manche (au royaume de Ought, 1 GBP = 1 EUR). Eux aussi sont précédés d’une envieuse réputation qui les ont vus rejoindre l’écurie Constellation Records aux côtés notamment de Godspeed You! Black Emperor et Thee Silver Mt. Zion.
À l’instar de ceux-ci, la partie expérimentale s’intègre d’une manière insolente dans leur vision musicale. « Today, More Than Any Other Day », le titre avec lequel ils vont entamer leur set, en sera un exemple parfait avec sa longue intro post rock lymphatique qui va faire place à une pièce urgente à la Velvet Underground sous amphétamines. Un convaincant « The Weather Song » dans la foulée ira titiller l’univers des Strokes et, plus tard, celui de Talking Heads (le captivant « Habit »). Des références très New Yorkaises au demeurant.
Au centre de tout ceci se trouve Tim Beeler, un chanteur guitariste qui dégage quelque chose de naturellement puissant. Grand et maigrichon, il attire le regard malgré une voix mature et nasillarde en complet désaccord avec son physique. On ose à peine imaginer le leader qu’il deviendrait s’il venait à confier sa guitare à un autre musicien pour laisser libre cours à ses délires.
En attendant, on ne peut qu’acclamer la diversité musicale qui orne les compositions du groupe. Entre breaks psychédéliques, pièces déstructurées, passage au violon désaccordé et final hypnotique, on ne s’ennuie à aucun moment. On déplorera peut-être une participation relativement passive d’un public très (trop ?) respectueux qui ira même jusqu’à se taire entre les morceaux.
Mais c’était sans doute pour s’imprégner davantage d’un titre comme « Gemini » qui va atteindre des sommets d’intensité après une longue intro en crescendo. Ou de « Beautiful Blue Skies » au phrasé chanté-parlé naturellement posé sur une rythmique de plus en plus infernale qui finira par s’atténuer au moment de quitter la scène. Ils reviendront pour un ultime morceau, « Pill », à la délicatesse presque surréaliste après la tornade de l’heure précédente. Réflexion faite, l’AB Club était donc bien the place to be ce jeudi à Bruxelles…