Dour Festival 2010 (jour 1) : un début en fanfare…
Comme chaque année à pareille époque, la petite bourgade de Dour devient l’espace de quatre jours le carrefour incontournable de la musique alternative. Tout auréolés de leur titre de meilleur festival de taille moyenne aux derniers European Festival Awards, les organisateurs du Dour Festival ont de plus mis les petits plats dans les grands pour proposer leur meilleure affiche depuis 2006…
En effet, un nombre incalculable de dilemmes allait se poser tant les groupes intéressants succédaient aux curiosités et aux découvertes. Ajoutons à cela une organisation presque sans faille (petit bémol pour la vente des tickets boissons le premier jour), un site agréable et propre ainsi qu’une météo plus que clémente et nous pouvons affirmer sans crainte que l’événement se retrouve définitivement relancé. La catastrophique édition de 2007 n’est plus qu’un mauvais souvenir…
Et comme le parking presse judicieusement aménagé nous permettait d’arriver sur le site en un temps record via un accès privilégié, on était chaque jour à pied d’œuvre en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. C’est ainsi que les premières notes de notre Dour 2010 seront envoyées par les sauvages de Kapitan Korsakov, un trio guitare basse batterie qui sonne comme du bon vieux Nirvana période « Bleach » en encore un peu plus énervé. Les Gantois ont sidéré une assemblée encore un peu clairsemée mais captivée par ces riffs destructeurs et une puissance sonore propice à l’éclosion d’acouphènes. La barre était déjà placée bien haut.
Surtout que le groupe suivant, Mintzkov, fait plutôt la part belle aux mélodies et puise son inspiration chez le dEUS du milieu des années 2000 (le timbre de voix de Philip Bosschaerts renvoie à celui de Tom Barman) avec en plus la voix par intermittence de la bassiste Lies Lorquet (dont l’instrument prend une place importante dans le son du groupe). Ils ont mis en avant les extraits de « Rising Sun, Setting Sun », leur très recommandable troisième album (« Author Of The Play », « Opening Fire »), couplés à leurs classiques (« Return & Smile », « Ruby Red »). Un set sobre, plaisant mais sans réelle surprise. L’intimité d’une salle leur convient nettement mieux qu’une scène en plein air. A ce propos, on ne loupera sous aucun prétexte leur visite à l’AB le 8 décembre prochain.
Le Club-Circuit Marquee accueillait ensuite Showstar, le groupe hutois dont on avait perdu la trace depuis quelques temps. Fidèle à leur réputation de « groupe belge le plus british », ils ont confié la production de leur troisième album (« Think Ringo ») à Gareth Parton, une mini légende outre-Manche (Foals, The Rakes, The Beta Band,…). Malheureusement, malgré de très bonnes compositions (« Residents Of The Lost Club », « Finger Generation »), les prestations live pâtissent trop souvent de l’attitude du chanteur Christophe Danthinne (parfois à la limite du ridicule), qui éclipse le travail de son très bon backing band. Occupons-lui les mains avec un instrument (autre qu’un tambourin) et le problème sera en partie réglé. Au rayon curiosités, pointons « Uruguay », la chanson enregistrée à l’occasion de la sortie d’une compilation pour la Coupe du Monde) et « Flavor », la reprise de Girls In Hawaii. Peut mieux faire…
Dour a également bâti sa réputation sur l’éclectisme de son affiche, qui mêle des styles souvent dénigrés par le grand public, comme le hardcore, particulièrement bien représenté comme chaque année, notamment par les Californiens de Hoods. Violentes et brutes, leurs compositions sont un régal pour les amateurs du genre, surtout que leur leader (qui porte une vareuse des Diables Rouges période du début des 90’s), n’hésite pas à encourager le public à se lancer dans des circle pits destructeurs. On repassera pour la politesse de ses propos (le mot f**k est utilisé à toutes les sauces et dans toutes les phrases) mais on compensera avec son humour acerbe.
Hasard de la programmation, exactement au même moment se produisaient Beast sous la Magic Tent et Wild Beasts au Club-Circuit Marquee. C’est finalement vers le rock travaillé des seconds nommés que notre choix s’est porté, sur base de leur excellent deuxième album, « Two Dancers », plébiscité par la presse spécialisée l’an dernier, malgré un style un peu particulier qui fait se télescoper deux voix androgynes modulables à souhait sur des compositions classieuses aux envolées émotionnelles pointues (« The Fun Powder Plot », « All The King’s Men »). Et sur scène, ils arrivent à rendre le tout particulièrement envoûtant, malgré la difficulté de captiver un public de festival. Il faut dire que les deux chanteurs sont également d’excellents musiciens qui passent allègrement de la basse à la guitare en passant par le synthé, ce qui apporte un visuel supplémentaire non négligeable. Mentionnons aussi le discret guitariste dont l’instrument ne l’est pas du tout, ainsi que leur hit « Two Dancers », crescendo un peu à la manière d’Archive avec une structure finalement peu conventionnelle.
La riche programmation de ce premier jour se poursuivait sur la Last Arena (la scène principale en plein air) avec Eiffel, les Bordelais qui semblent avoir acquis une seconde résidence en Belgique, puisqu’après l’Atelier 210, le Botanique et Les Ardentes, ils en étaient déjà à leur quatrième escale de l’année dans le plat pays. Pour se mettre en forme et se glisser dans l’atmosphère de la localité, ils ont même été se restaurer dans une friterie locale quelques heures plus tôt. Entamé avec l’excellent « Minouche », leur set ira droit à l’essentiel avec un rock efficace et contestataire qui doit beaucoup à Noir Désir. Les comparaisons sont d’ailleurs légion mais ne perturbent aucunement les quatre musiciens qui sont plus que potes avec Bertrand Cantat. « Le Cœur Australie », « A Tout Moment La Rue », « Sous Ton Aile », autant de bons extraits d’un quatrième album arrivé d’un peu nulle part l’an dernier. Romain Humeau vit ses textes à fond pendant que la craquante bassiste Estelle (on sera gâté en bassistes de charme cette année) amène un peu de fraîcheur et de délicatesse à un rock très masculin, finalement. Une prestation intense d’une heure qui ne laissera que peu de place à l’improvisation et aux délires du chanteur. Pour ceux à qui cette dernière partie à manqué, qui les auraient loupés ou qui n’ont pas encore d’overdose, ils seront de retour à l’AB le 23 octobre prochain.
Pendant que les ados d’Hadouken! se chargeaient de chauffer la Magic Tent avec leur beats inspirés de The Prodigy et que Baroness faisaient cracher leurs guitares, c’est la délicatesse de Get Well Soon qui constituait la suite de notre programme. Le talentueux teuton Konstantin Gropper (qui n’hésite jamais à se fondre dans le public pour jeter un œil à un groupe ou l’autre) était en effet en mode festival avec un set fourre-tout (entendez qu’il laisse de côté son concept album « Vexations » dans sa version histoire / film puisque les projections sont absentes). Il aura tout le loisir de se balader dans sa déjà pléthorique discographie, avec des moments de grâce (le bijou qu’est « We Are Free » magnifié par un violon délicat), le très Madrugada « If This Hat Is Missing I Have Gone Hunting », le prenant « Listen! Those Lost At Sea Sing A Song On Christmas Day », sans oublier cette somptueuse version du « Born Slippy » d’Underworld, complètement réarrangée et un autre fabuleux morceau, « Werner Herzog Gets Shot »). Et que dire du final de « I Sold My Hands For Food So Please Feed Me », à la limite du post rock mais toujours avec cette classe qui caractérise le groupe. Sans aucun doute un des meilleurs moments du festival.
En tout cas, leur prestation a de loin été supérieure à celle des Maccabees, qui se produisaient juste après sur la Last Arena. Le quintette de Brighton se la jouait rock star en interdisant inexplicablement toute photo durant leur set. Surtout qu’ils sont loin d’être des stars par ici et que le relatif succès de leur deuxième album, « Wall Of Arms », est dû en grande partie à la production de Markus Dravs, le type qui a donné le son au « Neon Bible » d’Arcade Fire. D’ailleurs, pour être méchant, on pourrait bien dire que les Maccabees ne sont que des Arcade Fire de seconde zone. En tout cas, vocalement, Orlando Weeks ne fait rien pour contrecarrer cette affirmation. Au rayon set list, retenons le toujours très bon (et très sombre) « No Kind Words » (leur « No Cars Go »), « Toothpaste Kisses » du premier album et « One Hand Holding » (on n’a pas eu le courage d’attendre « Love You Better »), mais avouons quand même que, à la longue, ces titres finissent par lasser. Surtout que l’on ne distingue aucun nouveau morceau à l’horizon… A la limite, ils avaient été meilleurs en première partie d’Editors à Forest National. Ou alors, c’était parce qu’ils ne jouaient qu’une demi-heure…
Soit. Retour sous le Club-Circuit Marquee pour une curiosité. En effet, David Eugene Edwards, la tête pensante de 16 Horsepower, proposait les compositions envoûtantes de son side projet, Wovenhand. Un side project qui a (définitivement?) pris le pas sur son groupe principal. Toujours est-il qu’ils n’étaient pas tout seul car ils avaient emmené avec eux Muzsikas, un groupe hongrois qui arpente les scènes du monde entier depuis près de trente ans avec une musique traditionnelle, quelque part entre country et sonorités folkloriques tziganes. Cela peut paraître bizarre de prime abord, car le mélange des genres fait parfois un peu square dance, mais il faut bien admettre que la sauce finit par prendre, sans empêcher Wovenhand de ne proposer quasi que des extraits de son nouvel album, « The Threshingfloor ». La différence par rapport à avant, c’est que David Eugene Edwards paraît un rien moins ensorcelé, alors qu’il joue toujours assis, comme pour pouvoir mieux exorciser les démons qui minent ses compositions.
Place ensuite à l’incontestable tête d’affiche de la journée, pour ne pas dire celle du festival. Ce n’est en effet pas tous les ans que se pointe sur la plaine de la machine à feu un groupe de la stature de Faith No More. Cela dit, cela n’étonne qu’à moitié, lorsque l’on connaît l’amitié profonde qui lie Mike Patton à l’histoire du festival. En effet, celui-ci a joué avec ses nombreux projets (Fantômas, Tomahawk et Peeping Tom) avec toujours autant de popularité. Il revient donc avec le groupe qui lui a apporté gloire et fortune entre la fin des années 80 et celle des années 90. Véritable pointure internationale, le quintette s’est reformé voici une grosse année sans toutefois prévoir (pour le moment en tout cas) de sessions d’enregistrement. Ils avaient donné un concert parfait au Pukkelpop en été dernier où la fougue, l’humour et les performances vocales du chanteur nous avaient laissés pantois, tout comme ces titres intemporels qui donnent toujours aussi bien en live.
Ce soir, ils vont remettre le couvert, en commençant d’une manière très soft avec le thème de « Midnight Cowboy », qui ne laisse absolument pas présager la suite. « From Out Of Nowhere » va en effet nous rappeler que Faith No More sont loin d’être des enfants de chœur. Et surtout pas son leader qui va se démener comme un beau diable en alignant les grimaces les plus loufoques et les poses les plus suggestives, le plus souvent accompagné de son célèbre mégaphone, le tout devant un décor feutré. Le hic, c’est que, comme pour les têtes d’affiche à Werchter, le son manquait singulièrement de puissance. Ce qui veut dire qu’au-delà du dixième rang, les spectateurs n’ont pas reçu la même claque dans la figure. Paradoxalement, cela s’est un peu arrangé sur « Evidence », mais le constat sera malheureusement identique par après. Toutefois, la set-list impeccable compensera ce manque: « Ashes To Ashes », « Midlife Crisis », « Epic », rien que des classiques dont les clips tournaient en boucle sur MTV dans les années 90, mais aussi des titres plus obscurs (et plus violents) comme « The Gentle Art Of Making Enemies », « Digging The Grave » ou « Cuckoo For Caca ». Un bien beau cadeau de la part des organisateurs du festival…
A la fin du set, Jacques De Pierpont montera sur scène pour plébisciter un spectacle peu habituel qui était en train de se dérouler dans La Petite Maison Dans La Prairie (c’est un nom de scène, à Dour, pour ceux qui l’ignorent). Le Bal Des Enragés venait de débuter. Effectivement, le nom de ce spectacle est excellemment choisi. Prenez une tripotée de sauvages de la scène alternative française (des membres de Punish Yourself, Parabellum, Lofofora, Tagada Jones et Phaze), faites-leur jouer ensemble des titres qui ont bercé leur jeunesse et regardez ce qu’il se passe. Non seulement ils prennent leur pied sur scène mais ils donnent autant de plaisir à des spectateurs qui ne demandent qu’à pogoter. En d’autres termes, il s’agit d’un bal musette avec un orchestre qui, au lieu de jouer du Joe Dassin, du Claude François ou du Mike Brant, se délectent des compositions de Rammstein, Ministry, System Of A Down, Rage Against The Machine ou autre Therapy?. Et cela marche! Impossible en effet de sortir de la tente avant le final qui verra l’ensemble des musiciens (on en a compté seize) jouer un titre d’AC/DC.
Avec ça, on a loupé Simian Mobile Disco, mais le jeu en valait bien la chandelle. Une première journée au final très intense et réussie. Notre Dour avait démarré sous les meilleurs auspices…
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Photos © 2010 Olivier Bourgi